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Observations sur la libération de Jean-Claude Romand

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2126 5 juillet 2019

Cela s’est passé tout près de chez nous, à Prévessin près de Genève. Le protagoniste était de Clairvaux, dans le Jura. Dans la nuit du 8 au 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand tue sa femme à coups de rouleau à pâte, puis ses deux enfants de sept et cinq ans au moyen d’une carabine. Il se rend ensuite à Clairvaux pour abattre son père, sa mère et leur labrador. Quelques jours plus tard, il tente d’étrangler sa maîtresse dans la forêt de Fontainebleau. De retour chez lui, il avale des barbituriques et met le feu à sa maison, mais survit au désastre.

La police et la justice découvrent rapidement l’ahurissante vérité: pendant dix-huit ans, Jean-Claude Romand s’est fait passer pour un médecin employé par l’OMS, alors qu’il n’était rien. Il passait ses journées dans les bois, ou dans sa voiture, sur des parkings. Pendant presque deux décennies, il a capté les économies et les revenus de ses proches, confiants dans la gestion de leurs avoirs par cet homme doux, discret, modeste, un peu mélancolique, père, mari et ami exemplaires. Mais les ressources n’étaient pas inépuisables, et Romand a décidé de mettre un terme brutal à cet incroyable mensonge au moment où il était sur le point d’être démasqué.

Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine incompressible de vingt-deux ans, il vient d’être libéré sous condition ce 28 juin. La presse a abondamment commenté l’événement. Il n’y a pas très longtemps, un criminel de ce calibre aurait été guillotiné et la question de sa mise en liberté ne se serait pas posée. L’énormité de son forfait et sa médiatisation en ont fait un personnage célèbre. Emmanuel Carrère, dans un récit à succès, L’Adversaire, a brossé un portrait empathique et nuancé de son sujet, sans pouvoir résoudre ses ambiguïtés. Daniel Auteuil a incarné magistralement un personnage troublant dans le film de Nicole Garcia, qui reprend le titre et la trame du récit de Carrère.

Que faire de cet encombrant justiciable qu’on ne peut lâcher dans la nature sans quelques précautions? Détenu modèle, il dit avoir parcouru un cheminement spirituel, confirmé par les aumôniers de la prison, qui aboutit aujourd’hui au monastère bénédictin de Fontgombault dans l’Indre. Savoir si cette conversion est sincère ou non n’est pas ce qui nous occupe prioritairement. Voyons plutôt les réactions suscitées par ce rebondissement. On peut comprendre que la famille des victimes, qui s’exprime par le beau-frère du criminel, soit scandalisée par l’aménagement somme toute confortable fait à l’adversaire. Par ailleurs, il n’est pas étonnant que les courriers de lecteurs soient remplis de cris d’une semblable indignation: quoi? ce misérable aurait droit à une existence paisible et sans souci, à faire de la poterie et du jardinage, à écouter des concerts de chant grégorien tous les jours, alors que le reste de l’humanité sue au boulot, quand elle n’est pas au chômage? Romand est un monstre: pas de pitié.

Pour attiser la haine, la presse désigne Fontgombault comme monastère intégriste. Selon quels critères cet adjectif infamant est-il appliqué? Les moines chantent en latin (horreur!) et ils ont jadis accueilli le milicien Paul Touvier (abomination!). Le frère porte-parole de la communauté s’explique: «En ouvrant les portes de la clôture à M. Romand, nous voulons, tout en faisant nôtres les buts poursuivis par la justice, lui donner de se placer devant Dieu, son ultime juge à la porte de l’éternité. Ce moment, M. Romand doit aussi le préparer. Saint Benoît demande à ses moines d’honorer tous les hommes: c’est ce que nous désirons faire en [lui] offrant cet accueil, conforme à l’enseignement de l’Évangile.»

Evidemment, ce langage est totalement étranger à l’esprit du monde moderne. Il lui est impensable d’envisager que Jean-Claude Romand puisse s’amender, voire devenir un saint, par des voies spirituelles: ascèse, contemplation, méditation, prière, etc. Au Ciel, Antoine et Caroline, ses enfants, sont peut-être en train de prier pour le salut de l’âme de leur père. Ne voir en Jean-Claude Romand qu’un salaud irrécupérable est une insulte à la Miséricorde du Christ. Les nombreux exemples de pécheurs endurcis devenus des saints démontrent que la Grâce divine peut tout. Un homme à la conscience chargée du poids de cinq meurtres atroces n’est-il pas en définitive un gibier très intéressant pour la Grâce de Dieu?

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