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La Fête

Jean-François Cavin
La Nation n° 2130 30 août 2019

La Fête des vignerons est une tradition vivante. Elle ne se répète pas, elle se renouvelle. Chacune a son caractère, chacune laisse des souvenirs qui lui sont propres.

Pour citer les spectacles que nous avons vécus, celui de 1955 avait des accents patriotiques et était empreint d’une certaine solennité, avec ses dieux figurant la Nature et trônant sur des chars grandioses. Souvenirs frappants: Bacchus Payot gravissant à la course les gradins de la scène montant jusqu’au ciel, ou la beauté de Cérès Muller, ou le Chant du berger qui fit le bonheur durable du Disque préféré de l’auditeur sur les ondes de Sottens, à juste titre car c’est un petit chef-d’œuvre.

1977: fête chrétienne où les quatre saisons sont aussi les moments des quatre évangélistes et où une cinquième saison introduit le Renouveau pascal. Images fortes entre beaucoup: la majesté du Roi Leresche, ou les pissenlits du printemps avec la mélodie acidulée de la ronde des enfants, ou le fragile chant de Noël enneigé, ou le ballet mécanique des machines agricoles au tintamarre brutal suivi, piano et a cappella, de l’émouvant chœur Ô moisson de mon enfance, le monde a changé plus vite que mon cœur.

1999: spectacle plus théâtral avec l’apparition de nouveaux personnages, Arlevin tenant le fil conducteur, Orphée, Saint Martin. Moments mémorables: le Chœur rouge sautant d’un bus à deux étages au milieu du marché de la Saint-Martin, ou le troupeau innombrable des moutons bleus, ou les trois hélicoptères venus d’on ne sait où dans un incroyable silence et surgissant soudain pour combattre les maladies de la vigne, ou encore le préfet Silène Munier hilare sur son âne.

Et 2019? Une féerie pour les yeux, une enivrante profusion de mouvements et de couleurs, une merveilleuse folie. Le regard est tellement sollicité que les textes (inégaux, les liaisons parlées étant notamment un peu gentillettes) passent à l’arrière-plan. Et la musique est la servante du triomphe visuel, avec de meilleures réussites dans les pièces rythmées accompagnant les mouvements scéniques que dans la ligne mélodique des moments plus lyriques; mais on s’y retrouve avec les airs traditionnels, parmi lesquels on salue la reprise du Petit chevrier, chant admirable qui n’avait pas retenti à cette place depuis 1927. Quels tableaux la mémoire retiendra-t-elle? On aimerait tout citer, ou presque, de ces scènes déroulant leurs chorégraphies sur le sol lumineux. En toute injustice, mentionnons les Bourgeons (la superbe éclosion au centre de l’arène!), les Effeuilleuses déchaînées, les évolutions aussi rigoureuses les unes que les autres des Cent Suisses et des Cent pour Cent, sur le mode classique ou sur le mode décalé, la foule de la Saint-Martin vêtue de couleurs automnales d’une finesse incomparable,… et tant d’autres visions de rêve!

On est frappé par le gigantisme: celui des arènes, majestueuses (et confortables!), celui du budget (aïe!), celui encore de l’effectif des troupes; dans maints tableaux, elles n’en finissent pas de déferler, par centaines de figurants débouchant de partout. C’est vraiment le peuple de la Fête, comme si tout Vevey, Lavaux et le Chablais s’étaient costumés; et c’est le peuple en entier – j’ai entendu des figurants parler anglais entre eux, probablement des employés étrangers de Nestlé montés comme tout le monde sur cet extraordinaire bateau!

Daniele Finzi Pasca a tué les dieux, et l’annonce de ce crime avait suscité quelque émotion. Il n’en paraît plus rien. Quand les trois docteurs expriment les remerciements dus aux artisans du spectacle, ils n’omettent pas de dire merci aux dieux d’avoir accepté de disparaître; j’ai trouvé l’allusion fine et drôle… mais j’étais seul à rire: le public avait déjà oublié les divinités antiques. Reviendront-ils à la prochaine? Le concepteur du spectacle, en revanche, a tenu à faire la part belle aux femmes, ainsi qu’aux invalides; on pouvait craindre que ce parti-pris «inclusif», très «tendance», ne soit un peu pesamment démonstratif; pas du tout, car c’est réalisé avec humour et gentillesse. Le pari de l’aggiornamento est tenu avec succès.

L’ordonnance des tableaux porte de bout en bout la marque de Daniele Finzi Pasca; les magnifiques costumes, la scénographie, la chorégraphie sont aussi confiés à un seul artiste pleinement responsable. La tendance à répartir l’écriture et la musique entre plusieurs créateurs, déjà amorcée en 1999 quant aux compositeurs, nous semble malencontreuse; dans ces domaines aussi, un élan d’ensemble est souhaitable.

Relevons enfin l’heureuse alliance du moderne et du traditionnel: la haute technicité du plancher LED, de l’acoustique, des projections, de l’éclairage, combinée avec le défilé des armaillis et des vaches, suivies d’un ramasse-beuses virtuose de la pelle; une musique scandant les rythmes d’aujourd’hui, mais parfaitement tonale (et qui plaît donc!); des chorégraphies actuelles et des costumes le plus souvent à l’ancienne; tout comme, dans la ville plus animée que jamais, pleine de bonne humeur et de rires, les soldats et les bannerets en tenue XVIe siècle se mêlent tout naturellement au public en blue-jeans. Tout cela uni et emporté dans un élan de joie: c’est la Fête!

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