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Inclusion, égalité, réussite: un échec

Emilie Perrin
La Nation n° 2193 28 janvier 2022

Il y a deux manières de voir les choses. La première est de considérer que la réussite scolaire est indispensable à l’épanouissement et la seconde et d’admettre que l’école n’est pas faite pour tous et que l’échec scolaire permet aussi à certains de devenir de valeureuses personnes. Vous l’avez bien compris, la vision dominante dans les milieux épris d’une pédagogie progressiste est la première. C’est elle qui gouverne notre système scolaire.

Le grand chantier de l’Ecole vaudoise actuelle est celui de l’inclusion scolaire à tout prix par la mise en place du concept 360°. Tel élève, haut potentiel intellectuel, avec trouble du comportement sera voisin d’un camarade affligé d’un retard prononcé du langage, n’ayant pas encore décroché la lecture en 5e primaire Harmos. Avec eux, cinq autres élèves bénéficient d’un suivi psychologique, quatre d’un suivi logopédique et une demande de bilan est en attente pour encore quatre élèves. Sur cette classe – inspirée de la réalité – seuls cinq enfants semblent «ordinaires».

Non seulement, les classes sont très hétérogènes mais le redoublement (rebaptisé maintien) est découragé. Nous sommes d’ailleurs déjà depuis quelques années dans un système de promotion semi-automatique. Le maintien n’est pas possible (à quelques rares exceptions près) en 1re, 2e, 3e et 5e primaire Harmos. On sent ici la volonté de glisser progressivement vers la promotion automatique.

Pour permettre aux enfants souffrant de troubles ou de retards, des aménagements ou des adaptations du programme scolaire doivent être mis en place. Ces mesures peuvent aller de l’aide à la lecture des consignes, ou de l’octroi de temps supplémentaire pour certaines tâches, à la modification des objectifs d’apprentissage. Ces éléments sont discutés en réseaux professionnels, réunions rassemblant les enseignants, psychologues, logopédistes, pédiatres et membres de la direction. Un suivi logopédiste ou psychologique peut aussi y être proposé. Aucune de ces mesures ne peut être prise sans l’accord des parents. Si les parents refusent les mesures, l’école, donc l’enseignant, n’a plus vraiment de marge de manœuvre.

Ce qui importe, c’est la réussite scolaire d’un enfant. Il faut qu’à la fin de sa scolarité, au nom de l’égalité, l’enfant puisse choisir s’il veut devenir avocat plutôt que maçon. Tous les moyens pour la réussite de tous doivent être mis en place. Ce n’est pas à l’enfant de s’adapter à l’école, mais à l’école de s’adapter à chaque enfant. Cette tâche d’adaptation est celle de l’enseignant.

Comme cela est difficilement gérable, les exigences sont souvent réduites pour l’ensemble des élèves. Prenons l’exemple des mots de vocabulaire. Chaque semaine, les élèves ont une banque de quelques mots (leur nombre peut varier selon l’enseignant et son humeur) à apprendre d’un point de vue orthographique et sémantique. Or, sur une classe de vingt élèves, trois sont diagnostiqués dyslexiques, à qui il faudrait baisser le nombre de mots de vocabulaire. Jusqu’à présent, cela ne posait aucun problème, chaque enseignant pouvait réguler le nombre de mots à apprendre pour tel ou tel élève afin de réduire sa charge cognitive. Actuellement, sans procédure administrative, cette mesure n’est plus possible. Il est donc conseillé de baisser pour tous le nombre de mots. En résumé, pour trois élèves qui ont de la peine, par peur de les mettre en échec, il faut refuser aux dix-sept autres l’accès à un apprentissage approfondi.

La réussite à tout prix soulève un autre problème: celui de la vision de l’échec. Dans l’école qu’est la nôtre, l’échec devient l’interdit. Il est tabou. Il est une honte, un mal à éradiquer. En interdisant l’échec, on force de facto tous les enfants à devenir de petits modèles de réussite scolaire. Il n’y a plus de place pour le cancre.

Dans les pédagogies actuelles, l’accent est mis sur la créativité et le chemin que fait l’enfant. Les apprentissages systématiques tels la mémorisation, l’orthographe ou le calcul rapide sont mal considérés car ils ne poussent pas à la réflexion. On veut de la démarche scientifique plutôt que des livrets (tables de multiplications), de la créativité et de l’expression plutôt que de l’orthographe. Dans les arts, il n’est plus question de qualité d’exécution, de technique ou de créativité en tant que telle, mais de projet exprimant un processus créatif. Tout est intellectualisé.

Afin d’accomplir de telles tâches, les enfants devraient faire preuve d’un grand esprit de synthèse, utilisant leurs connaissances et leur vécu. Or nous constatons que les élèves arrivent à l’école avec chacun un bagage différent. Pour les plus chanceux, leur valise est remplie d’amour et d’aventures enrichissantes alors que pour d’autres, elle n’est guère plus qu’une coquille vide d’expériences. Malheureusement, certains tirent déjà de lourdes casseroles. La capacité d’utiliser son bagage dès son plus jeune âge pour accéder aux apprentissages s’avère extrêmement discriminante envers les enfants qui ont peu ou pas de culture ou de références. Les enfants qui ont la possibilité de s’épanouir intellectuellement sont ainsi ceux bénéficiant d’un cadre familial privilégié.

Les pédagogues contemporains semblent aussi oublier qu’à l’âge de l’école primaire, les enfants ne possèdent pas l’abstraction nécessaire et la capacité suffisante de faire des liens pour réaliser ce travail complexe, coûteux intellectuellement et chronophage. En outre, les élèves feront sans cesse face à des hésitations orthographiques ou de calcul et à des lenteurs à l’exécution de certaines tâches, car les apprentissages fondamentaux n’ont pas été scellés. Par la suite, la rigueur de leur réflexion sera toujours entravée par ces instabilités.

Pour conclure, nous pouvons affirmer que l’inclusion, l’égalité et la réussite prônées par la DGEO dans le cadre du Concept 360° représentent l’échec d’un système scolaire qui ne répond plus à sa vocation, celle d’instruire la jeunesse.

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