Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Reconnaissance de la Palestine

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2289 3 octobre 2025

Au micro de Forum du mercredi 24 septembre, notre ministre des Affaires étrangères a justifié le refus du Conseil fédéral de reconnaître la Palestine. Il a rappelé que son soutien à une solution à deux Etats revenait à la reconnaître, mais pas tout de suite. Même si «c’est peut-être un acte politique qui peut donner de l’espoir», a déclaré M. Cassis pour écarter du même coup la stratégie de l’effet d’annonce que poursuivent entre autres la France, l’Angleterre et le Canada. Il s’agit pour Berne de «jouer un rôle différent du mainstream, qui est toujours le rôle suisse, qui est celui, après, d’organiser tout ce qui doit être fait pour ce genre de discussions». Pour le Tessinois: «Si on veut être utile au monde, la meilleure solution est celle que le Conseil fédéral a choisie.»

M. Cassis a raison de refuser que la Suisse se contente de postures et de décisions symboliques.

Les Etats partagent avec les personnes la possibilité d’exercer leur liberté, mais également d’en mésuser. La liberté de l’homme s’exerce dans un double cadre: juridique d’abord, moral ensuite. Depuis le traité de Westphalie (1648), les Etats sont considérés comme étant souverains, mais aussi égaux et libres. Autant de traits qu’ils partagent avec l’individu moderne. Les Etats suscitent donc naturellement l’attente qu’ils se comporteront de manière morale. Si cette attente est déçue, les Etats s’exposent au jugement. Cela ne manqua pas à l’égard des pays neutres, tôt traités de pleutres et de tièdes – au sens évangélique du terme1. Mais leur abstraction fondamentale les met aux prises avec une morale désincarnée.

Par souci de repousser le mal après les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale, les droits de l’homme devinrent une morale interétatique. Juridiquement interdite depuis 1945 par la première Charte de l’ONU, la guerre d’agression non validée par le Conseil de sécurité est à son tour devenue une faute morale. Ignazio Cassis l’exprima lui-même, au troisième jour de l’invasion de l’Ukraine: «Neutralité ne veut pas dire indifférence.»

Si on peut sommairement affirmer qu’il appartient à la personne de viser le bien dans chacune de ses actions, la politique vise quant à elle le bien commun. La morale du politique n’est ainsi pas du même ordre que la morale individuelle. Elle exige que chaque Etat poursuive, objectivement et sans passion, ses intérêts nationaux.

Dans le concert des nations, la Suisse a patiemment construit sa neutralité depuis le XVIe siècle. Sa finalité première est de veiller à l’unité interne de la Confédération, mosaïque nationale, culturelle, linguistique et religieuse. Faisant cela, la Suisse offre au monde la stabilité et la paix de son territoire au cœur de l’Europe. Le corollaire de cette attitude est de faire de la Suisse un lieu privilégié pour les discussions internationales, comme autant de gouttes d’huile dans les rouages d’un monde de plus en plus grippé.

Ces principes trouvent application dans le dossier israélo-palestinien. Les perceptions du conflit de part et d’autre de la Sarine divergent fortement. De nombreux chrétiens évangéliques ont un fort attachement pour Israël, et le gros de la gauche voit le soutien à la Palestine comme partie intégrante de sa doctrine. La solution à deux Etats, officiellement préconisée par la Suisse, présuppose la collaboration de Tel Aviv. Se l’aliéner par une mesure purement symbolique aurait empêché la Suisse de jouer sa partition pacificatrice.

A l’heure où nous mettons sous presse, Donald Trump vient d’annoncer un accord que l’on espère durable à défaut d’être définitif pour la paix à Gaza. M. Netanyahu en a accepté les termes. Nous ignorons si l’attitude de la France et de ses alliés a contribué à infléchir la position israélienne. Une éventuelle reconnaissance par la Suisse n’y aurait rien changé.

Evidemment, nos liens économiques et militaires avec Israël, tout comme le soutien américain dont bénéficie l’Etat hébreu, permettent à la Suisse d’affirmer une neutralité stricte plus aisément qu’elle ne le fit à l’égard de la Russie en reprenant quasi en bloc les sanctions occidentales. L’UE a toutefois menacé Israël de sanctions, ce qui exprime des équilibres différents qu’en 2022. Nous saluons l’attitude du Conseil fédéral sur le dossier gazaoui. Mais une neutralité à deux vitesses finira par se voir, en particulier dans les pays du Sud global, plutôt ennemis d’Israël et attachés à la Russie et à la Chine.

Notes:

1   Jean-Jacques Langendorf, «La Malédiction de la neutralité», in Neutre, la Suisse à l’ère de la guerre hybride, CRV 159, Lausanne 2023.

Cet article est disponible en version audio (podcast) au moyen du lecteur ci-dessous:

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*



 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: