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Absurde disposition constitutionnelle sur les districts

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1760 10 juin 2005
«Dans les dix ans dès l'entrée en vigueur de la présente Constitution, le Conseil d'Etat proposera un nouveau découpage administratif du Canton en vue de la réduction du nombre de districts, en tenant compte des besoins de la population et des facilités de communication. Le nombre de districts sera de huit à douze»: c’est que prévoit la nouvelle Constitution vaudoise dans ses dispositions transitoires. L’alinéa 3 de l’article 158 dispose en outre que les districts constitueront les arrondissements électoraux.

Les critères de redécoupage sont innombrables, politiques, judiciaires, administratifs, électoraux, démographiques, scolaires, économiques, géographiques, d’aménagement du territoire, de voies de communication, de transports publics. Ces critères ne correspondent pas toujours, se contredisent parfois. Selon que l’on insiste sur tel ou tel d’entre eux, on optera pour tel ou tel dessin. C’est dire qu’on peut varier les exercices de découpage et de collage à l’infini. On ne s’en est pas privé.

Se sent-on d’un district? C’est selon. Le chef-lieu donne un certain style et l’appartenance crée certaines affinités. Le caractère identitaire est bien marqué quand le district correspond à une région typée, ou alors périphérique, c’est-à-dire oubliée ou menacée: La Vallée, le Paysd’Enhaut, Avenches. En revanche, le district de Lausanne reste une notion abstraite. C’est la capitale qui fournit l’identité lausannoise, non le district. Il faut incorporer à la réflexion ces différences de rapport au district. Ajoutons encore que, désirant organiser les élections de 2007 avec des districts déjà redécoupés, l’Etat conduit l’opération à un rythme excessivement rapide. Malgré de récentes et cuisantes expériences, il refuse de voir que «le temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui».

Les petits partis prônent des grands districts, qui seuls leur permettent d’obtenir des sièges au Grand Conseil. L’ancien syndic d’Yverdon-les-Bains, Olivier Kernen, veut un grand district du Nord qui jouera le rôle de contrepoids à celui de Lausanne et permettra de mieux faire valoir les intérêts de la région face à l’administration cantonale. Il reçoit un bon écho de La Vallée, où l’on demande également un district du Jura (Grandson, Yverdon-les-Bains, Orbe et La Vallée). Le député Thévoz (9 districts) a conçu un découpage original qui fusionne Moudon et Echallens et agrandit encore le district de Lausanne. Le député Ghiringhelli (12 districts) veut renforcer les petits districts. Le parti libéral a découpé Lausanne en trois, créant le district du Grand-Lavaux, à forte densité libérale. Le parti popiste plaide pour le découpage du Canton en cinq, ce qui exigerait une modification de la Constitution. Il se bat aussi pour un seul arrondissement électoral. Le parti socialiste propose de partir des centres et d’être accommodant sur les frontières, les communes à mi-chemin entre deux centres ayant la possibilité d’opter pour l’un ou pour l’autre. L’idée va dans le sens de l’article 160 de la Constitution, qui permet à toute commune de demander son rattachement à un autre district. Tout est possible, tout est discutable.

En novembre 2004, le Tribunal fédéral a décidé que les découpages électoraux cantonaux devaient être assez populeux pour qu’un parti totalisant dix pour cent des voix ait droit à un siège au parlement. Acceptant sans sourciller ce nouveau diktat fédéral, les deux commissions de l’Etat chargées de «piloter» et d’«accompagner» le redécoupage se sont contentées d’en inférer que cela nous contraindrait à fusionner les trois districts de la Broye. Même ainsi, d’ailleurs, la population ne sera pas tout à fait assez nombreuse pour répondre aux critères du Tribunal fédéral!

Découragé, le préfet Perdrix, l’un des phares de la défunte Constituante, estime qu’il faut laisser tomber un exercice impossible. C’est aussi l’avis du député socialiste Denis Maillefer. Le débat s’enlise dans d’innombrables projets, tandis que l’Etat force la vapeur.

Le blocage où nous nous trouvons provient notamment de ce qu’on ne s’est guère demandé quelle est la raison d’être des districts, ce qui fait qu’on leur attribue des rôles multiples, souvent contradictoires d’ailleurs, qu’ils ne peuvent tenir. Le district n’est pas un territoire à tout faire. Le district n’est pas une région au sens économique du terme. Il n’est pas un petit Etat, ni une grande commune. Il n’est pas un "bassin de population". Il n’est pas un arrondissement électoral. Fondamentalement, le district est le lieu de la présence concrète de l’Etat dans le territoire et dans la population. Cette présence s’incarne avant tout dans le préfet, qui représente le pouvoir auprès des communes et des particuliers et, secondairement, les intérêts de ces derniers auprès de l’Etat. Le rôle est aujourd’hui d’autant plus important que la présence administrative tend à se raréfier: s’il existe encore un office d’impôts par district (deux à Lausanne), les offices de poursuites et faillites ainsi que les registres fonciers ont été partiellement regroupés, et le registre du commerce a été centralisé à Moudon.

C’est en fonction de cette proximité personnelle de l’Etat incarnée par les préfets qu’il faut penser toutes les modifications possibles, découpages, fusions, transferts de communes, transformations en sous-préfecture, etc. Tous les autres critères sont adventices. Des regroupements de services de l’Etat peuvent être justifiés, même s’ils se paient parfois d’un inconfort pour les usagers. Il reste que toutes les régions du Canton, même les plus faiblement peuplées, doivent bénéficier de la présence proche d’un préfet. Peut-être certains endroits devront-ils se satisfaire d’une sous-préfecture ou d’un bureau préfectoral occupé une partie de la semaine par un préfet itinérant. Cela suffit pour que le principe soit respecté. Ce principe, ce n’est pas seulement un droit de l’administré, c’est aussi un besoin de l’Etat qui doit sentir la population et s’en faire accepter.

La réduction des districts posée comme un a priori n’a aucun sens. Leur maintien comme arrondissements électoraux n’en a guère plus. Il convient donc de supprimer sans tarder l’alinéa 3 de l’article 158 de la Constitution ainsi que la disposition transitoire qui prévoit la réduction à une fourchette de huit à douze districts et nous impartit un délai de dix ans pour effectuer cette improbable opération.

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