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La beauté du monde

Lars KlawonnLa page littéraire
La Nation n° 2066 17 mars 2017

La liste des écrivains méconnus, ignorés, écartés se rallonge chaque jour. Henri Bosco en fait partie. Né en 1888, l’année même de la mort de saint Jean Bosco, fondateur de l’ordre des Salésiens et issu de la même lignée piémontaise que l’écrivain, et auquel il a d’ailleurs consacré une biographie, le poète et romancier est bien davantage qu’un auteur pour enfants.

Son grand-père s’est installé à Marseille en tant qu’ouvrier dans une fabrique de savon et son père fut chanteur. Il travaillait au Conservatoire d’Avignon, ville où naquit Henri. Profondément imprégné de la culture et de la manière de vivre méditerranéenne, ses parents parlaient couramment le provençal, il passa son enfance non loin d’Avignon, à la campagne, entre la Durance et le Rhône. Si pour L’Enfant et la rivière, qui parut en 1945 et fut un immense succès, Bosco puise dans les souvenirs de son enfance, ce n’est pas pour la reconstruire identiquement. Ce roman n’est pas un récit autobiographique. L’absence totale des noms de lieux et de précision quant à l’époque donne déjà une indication suffisamment révélatrice de la dimension imaginaire du récit. Il s’agit d’un texte de fiction dont les souvenirs d’enfance constituent la principale source d’inspiration. Chez Bosco, comme chez Barbey d’Aurevilly, Alain-Fournier ou Proust, les souvenirs sont déformés par l’imagination.

Le personnage principal est un adolescent. Pascalet vit avec ses parents et la tante Martine dans une maison isolée, à proximité d’une grande rivière. Un beau jour de printemps naissant, bravant l’interdit des parents qui lui ont défendu de s’approcher de la rivière, il fait une fugue, s’enfonce dans la nature sauvage et découvre la rivière. Emerveillé et enivré, il est aussi épouvanté par la découverte des traces de pieds nus sur le sable et au milieu des courants, une grande île mystérieuse et sombre. Un fil de fumée qui monte lui apprend qu’elle est habitée. Pris de peur, l’adolescent s’enfuit et rentre. Mais la tentation de revenir est trop grande, son goût de l’escapade plus fort que sa peur. Commence alors une aventure qui fait penser à L’Ile au trésor de Stevenson, dont le personnage principal est également un adolescent. Entraîné malgré lui par les courants, et plongé dans un état de somnolence hallucinée, Pascalet débarque sur l’île. Il y découvre un groupe de bohémiens qui tiennent attaché à un poteau un garçon du même âge que lui. Il arrive à détacher le jeune bohémien et tous les deux s’enfuient dans la nuit en s’emparant d’une barque. Grâce à Gatzo, qui sait naviguer et connaît la rivière comme sa poche, ils parviennent à se cacher dans un bras mort qui se perd en d’innombrables canaux.

Jusque là, le lecteur se croit embarqué dans l’intrigue d’un récit d’aventures. Impatient, on attend la suite. Mais dans les eaux dormantes, l’action s’arrête. Le récit bifurque, prend une allure vagabonde. Les deux amis se mettent à déambuler à travers les canaux, les îlots et les rives. Sous la conduite du taciturne Gatzo, qui évolue en terrain connu, ils explorent l’univers végétal et animal qui les entoure, les eaux, le ciel et la terre; ils pêchent, font du feu, et préparent leur repas.

Les après-midi, au comble de la chaleur, le temps et l’espace s’étirent à l’infini. Emerveillés par la beauté du monde, les deux amis se laissent emporter par la puissance magique de la croyance enfantine. Des animaux fabuleux apparaissent; et la nuit, sous les étoiles, des fantômes illuminés. Peu à peu, au fil des pages, la nature prend la forme d’un personnage surnaturel, une présence vivante et mystérieuse, un être vivant mais insaisissable.

L’intérêt du roman réside tout d’abord dans la manière avec laquelle Bosco recrée l’esprit de l’enfance et à travers lui le monde des sens, celui de la nature primitive, intacte et innocente, non encore altérée par la société des adultes. L’aventure n’est ici que prétexte. En vérité, c’est un voyage initiatique que Bosco nous raconte. Comme dans les plus beaux contes, la transgression d’un interdit est ici la condition sans laquelle il n’y aura pas d’histoire. Elle en est l'élément déclencheur. C’est parce que Pascalet a enfreint l’interdit de ses parents qu’un autre monde s’ouvre à lui, un monde dont il n’aurait pas même deviné l’existence, un monde irréel et magique, beau et cruel, à l’écart de la réalité toujours changeante, toujours altérée et corrompue.

Ensuite, Bosco va plus loin encore. Il a compris que l’interdit, qui produit toujours un sentiment de terreur salutaire chez l’enfant, permet non seulement de découvrir un autre monde mais également d’échapper à l’autorité des parents. La société des anciens, qui était encore celle de Bosco, savait faire la différence entre ce qui est bon à faire et ce qui ne l’est pas. Tandis que la société d’aujourd’hui, permissive à n’en plus finir et gravement atteinte de la phobie des interdits, empêche les enfants de rêver et les enferme dans le relativisme et l’indifférence d’un monde sans limite et sans frontière.

Par l’écriture, fruit des rêveries de l’écrivain, Henri Bosco cherche à pérenniser le rêve. Comme les enfants, il préfère les rêves à la vie réelle, car il est convaincu que la vérité de l’homme réside dans ses rêves et ses souvenirs. Il investit les souvenirs du passé vécu et l’invention littéraire comme autant de processus créatifs voisins et poreux, allant jusqu’à se confondre dans la mémoire d’un homme.

Le retour de Pascalet et la fin de son voyage initiatique, qui s’apparente à une sorte de rêverie éveillée, s’opère par un théâtre de toile. Il donne un conte moral dans la tradition des anciens sur la grande place d’un village. Cette pièce de théâtre d’une grande simplicité se révèle être inspirée de la même puissance magique de l’esprit enfantin dont est habité L’Enfant et la rivière, et d’un monde intact où le mal est vaincu par le bien.

Notes:

Référence: Henri Bosco, L’Enfant et la rivière, Gallimard, Collection Folio.

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