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Les relations Russie-Occident

Lionel Hort
La Nation n° 2068 14 avril 2017

A l’occasion des Entretiens du mercredi, M. Eric Hoesli, professeur à l’EPFL et à l’Université de Genève, est venu parler de l’actualité des relations entre la Russie et le monde occidental. En tant que journaliste spécialiste de la Russie contemporaine, le conférencier a dressé un tableau remarquable de la période d’après-Guerre froide, approchant en trois points les raisons de la discorde opposant la Russie à l’Occident.

Premièrement, et à l’aide de différentes données statistiques, le conférencier a mis en perspective le déclin qui caractérisait la société russe au sortir de la Guerre froide. Le niveau de vie en Russie s’est effondré durant la période de libéralisation des années nonante, atteignant des minima effrayants entre 1994 et 1995. Le PIB de la grande Russie était alors inférieur à celui de la petite Suisse. L’espérance de vie, extrêmement réduite au même titre que le nombre des naissances, était similaire à celle d’un pays en guerre. Corrélativement, les taux de mortalité et de criminalité ont connu des hausses remarquables.

M. Hoesli a montré que les cotes de popularité des dirigeants russes s’identifiaient à ces périodes et à ces différents facteurs, celle de Boris Eltsine étant la plus basse, celle de Vladimir Poutine la plus haute. En effet, l’arrivée de Poutine au pouvoir est synonyme de reprise économique et d’un regain de stabilité sécuritaire et politique. Cette période coïncide de plus avec l’exploitation de la rente pétrolière, qui bénéficie grandement au gouvernement Poutine et au peuple russe dès la première décennie du XXIe siècle. La Russie sort alors d’une longue période de délitement socio- économique.

Dans un deuxième temps, le conférencier a abordé la situation russe au plan international. Le démantèlement de l’Union soviétique suite à la Guerre froide est assimilé à une défaite totale. L’importation chaotique de l’économie de marché, loin de permettre l’accession de la Russie à la prospérité capitaliste, n’a signifié que ruine et discrédit pour la population.

Les promesses de l’OTAN de ne pas s’étendre au centre et à l’est de l’Europe n’ont pas été tenues. L’extension de l’Alliance atlantique, qui suit un rythme accéléré pendant une décennie, s’arrête en effet quasiment aux portes de la Russie en 2007, avec la tentative de faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN, éventualité inacceptable pour le pouvoir russe. C’est ensuite l’Union européenne qui prend le relais de cette politique d’expansion, avec dès 2009 la mise en place du partenariat oriental. Ces tentatives de repousser les zones d’influence militaire puis économique russes restent indubitablement dangereuses pour la stabilité de ces régions, la crise ukrainienne en témoignant. La réintégration – sans heurts particuliers – de la Crimée dans le territoire de la Fédération témoigne d’une volonté d’indépendance assumée, et représente aux yeux de la population une réponse pacifique mais ferme du pouvoir russe aux pressions exercées sur ses frontières. Le gouvernement, lassé par l’hypocrisie et l’hostilité d’une partie des Occidentaux, a opéré ces dernières années un tournant économique et diplomatique vers l’Asie, en menant une politique favorable à la Chine et en créant une Union économique eurasiatique.

Après ce passage en revue de l’état général de la société russe, le conférencier a insisté sur le rôle de la Russie dans le conflit syrien.

Cette crise géopolitique concerne directement les régions au sud de la Fédération. Par ailleurs, la population russe compte 22 millions de musulmans sunnites, et le gouvernement entend éviter l’importation du terrorisme islamique que connaissent l’Europe et les Etats- Unis. Société historiquement multiconfessionnelle, la Fédération connaît une grande ouverture à l’égard de ses citoyens de confession musulmane – la plus grande mosquée d’Europe ayant été inaugurée à Moscou en 2015. Enfin, les chrétiens de Syrie sont proches de l’orthodoxie russe. La nature cordiale des relations avec le pouvoir syrien s’explique ainsi par une volonté de maintien de la paix qui passe impérativement par la conservation des structures de l’Etat syrien, afin d’éviter la prolifération aux portes de la Russie de Failed states. On sait bien que les interventions occidentales dans les pays moyen-orientaux tel que l’Irak et la Lybie n’ont pas pu empêcher – voire ont entraîné – l’apparition de telles zones de non-droit. La Russie a enfin, dans cette zone qui s’étend jusqu’à la Turquie, des intérêts économiques importants liés à ses exportations d’armes, de pétrole et de gaz, qu’elle se doit de défendre. Le conflit syrien permet à la Russie, au-delà de son rôle au Conseil de sécurité de l’ONU, de s’affirmer à nouveau comme acteur international indépendant, entreprenant et crédible.

Cet entretien a finalement été pour Eric Hoesli l’occasion de rappeler l’irréductibilité de la vision du monde russe aux conceptions et aux valeurs occidentales, toutes pénétrées d’ethnocentrisme malgré leur prétention à l’universel. Cette altérité est la condition de possibilité même des échanges culturels et commerciaux ayant jalonné l’histoire des relations Orient-Occident, histoire complexe, tantôt pacifique, tantôt conflictuelle. Mais elle est aussi, paradoxalement, la cause de l’incroyable différence de traitement médiatique des épisodes ci-dessus évoqués. Sous Eltsine comme sous Poutine, les médias occidentaux ont avant tout projeté leurs propres valeurs sur ce qu’ils percevaient des événements russes, ne sélectionnant que ce qui leur correspondait – ou les choquait – le plus.

Sans nier les luttes d’influences inhérentes aux relations internationales d’un monde désormais multipolaire, M. Hoesli a ainsi rappelé la spécificité de la société russe, composition originale faite de cent nuances ethniques, linguistiques et territoriales, unie à travers les siècles dans une communauté de destin à l’identité impérissable.

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