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La marche sans fin des féministes

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2085 8 décembre 2017

Les féministes, celles du moins qui visent l’égalité par éradication des différences, sont exaspérées. On les comprend. Elles ont sans doute gagné des combats symboliques majeurs, le droit de vote, l’égalité salariale, l’égalité dans le mariage (suppression du chef de famille, codécision généralisée, droit de conserver son nom de jeune fille et son lieu d’origine). Tous les métiers, tous les postes et tous les niveaux leur sont accessibles, toutes les ambitions leur sont permises. Depuis 2012, elles sont majoritaires au Conseil d’Etat vaudois. Tout change, donc… et pourtant, à leurs yeux, rien ne change.

Françoise Giroud professait spirituellement que l’égalité serait réalisée lorsque des femmes incompétentes occuperaient des postes clefs. Aujourd’hui, il arrive ici et là que de telles femmes occupent de tels postes, et pourtant la revendication égalitaire se renforce plutôt, de la mise en cause de la famille, qui «constitue le premier lieu de la domination des femmes»1, à l’extension du combat aux minorités sexuelles en passant par les actions spectaculaires des Femen, qui contestent l’ensemble du système – sous réserve des médias.

Et il n’y a pas besoin d’être féministe pour sentir que, pour beaucoup de politiciens masculins, la profession de foi égalitaire n’est qu’une figure imposée du discours électoral. Leur certitude de la supériorité masculine subsiste dans un coin de leur cerveau reptilien et continue d’inspirer des allusions douteuses, des plaisanteries déplacées, des attitudes insinuantes, parfois davantage.

Décevante marche à l’égalité, laquelle semble s’éloigner au fur et à mesure qu’on élimine les obstacles qui seuls, croyait-on, l’empêchaient de triompher: l’égalité salariale n’est que partiellement passée dans les mœurs; plus d’une mère de famille exerçant un métier doit, en plus, tenir le ménage et se faire belle pour un mari qui ne voit pas l’intérêt de se faire beau; quant au droit de vote, il est surtout désirable quand on en est privé: l’électrice a rapidement rejoint l’électeur dans l’abstention.

La disparition du chef de famille n’a pas diminué le nombre de femmes contraintes, battues ou violées. Elle n’a pas non plus grandi l’homme, qu’elle a déchargé de ses responsabilités traditionnelles d’entretien, de représentation et de défense de la famille. Elle le dispense même de la galanterie: la femme qui le suit en promenade ou au restaurant risque fort de se prendre une branche dans la figure ou une porte sur le nez. Pour autant, ce mâle bêta, aveuli et grossier, ne s’est pas rapproché de la femme, pas plus d’ailleurs que celle-ci ne se rapproche de l’homme en singeant la drague masculine vulgaire.

D’institutionnel, le combat est devenu anthropologique. On affirme qu’il n’y a de différences entre l’homme et la femme que strictement biologiques. Les autres différences, prétendument «naturelles», ne sont que des «productions sociales» discriminatoires élaborées par le mâle pour assurer sa domination. Soit dit en passant, imaginer le mâle pourvu d’autant de ruse, de cohérence et de maîtrise à long terme, n’est-ce pas lui reconnaître une sorte de supériorité de genre?

Quoi qu’il en soit, l’égalité passe aujourd’hui par une «déconstruction» méthodique des stéréotypes, et cela dès les premiers jours de la vie. Il faut en terminer avec les habits roses pour les petites filles et bleus pour les garçonnets, les poupées pour les unes et les camions pour les autres. Il faut aussi censurer attentivement les contes pour enfants: Blanche-Neige, par exemple, perpétue le stéréotype de la femme au foyer quand elle fait le ménage pendant que les sept nains vont travailler à l’extérieur, et – nous l’avons entendu l’autre jour à la radio – le baiser du prince charmant à la belle endormie, étant non consenti, est un geste typique de prédateur sexuel.

On se souvient du petit Storm Stocker, dont les parents avaient décidé de ne pas révéler publiquement le sexe biologique pour le laisser choisir librement son sexe social. Cette attitude était insensée de plusieurs manières. Elle était surtout, du point de vue même des parents de Storm, insuffisante. Car l’exemple que le père donne à son fils ou la mère à sa fille court-circuite quotidiennement la perspective égalitaire. Ne faudrait-il pas séparer les enfants de leurs géniteurs dès la naissance et les élever dans des internats égalitaires?

Ne conviendrait-il pas aussi de contrôler les messages explicites, implicites et subliminaux des œuvres humaines? Car, nous l’écrivons sans ironie, d’Aristote à Kant en passant par saint Augustin, de Lysistrata à Madame Bovary en passant par Iphigénie, des statuettes précolombiennes à Toulouse-Lautrec en passant par Raphaël, de Cosi fan tutte à Lulu en passant par Lucia de Lammermoor, de Rebecca à La Reine des Neiges en passant par Belle de jour, toute la production philosophique, littéraire et artistique européenne – et sans doute mondiale – est claffie de stéréotypes de genre. Plus, elle en vit. Seuls les modes d’emploi et les fiches techniques sont insoupçonnables. Et encore…

Car les mots eux-mêmes et la grammaire qui les ordonne sont imbibés d’étymologies, de références et de connotations discriminatoires. Le langage épicène, la féminisation des titres, l’écriture inclusive2 sont censés changer les choses, mais vont-ils assez loin? Dans la formule «les citoyen • ne • s français • e • s», par exemple, la forme masculine reste le socle du mot, la partie féminine n’étant qu’un ajout coincé entre deux points médians. Cela n’appelle-t-il pas le recours à un genre unique et neutre? On l’a tenté en Suède.

On arrive au fond de la question: tout ce que notre civilisation a engendré, chaque terme, chaque texte de loi, chaque usage, fait écho à une conception communautaire et hiérarchique de la société humaine, conception que les féministes récusent absolument. Leur combat ne devrait donc se terminer qu’avec la disparition de la dernière trace de cette civilisation fondamentalement inégalitaire.

Dans l’effervescence actuelle, on peut s’attendre à la radicalisation des pressions sociales, à toutes sortes de simplifications et de complications dans le langage, à une multiplication des interdictions et obligations légales, à une banalisation de la délation et à d’épouvantables mises au pilori sur les réseaux sociaux. On se dirige vers un monde social, moral, culturel, langagier en ruines.

Et, malheureusement, c’est le monde où les «gros lourds» se sentent le plus à l’aise. Il n’est donc pas certain que la femme obtienne la pleine reconnaissance et le respect attentif qu’elle est en droit d’attendre de l’homme en supprimant ou niant par principe tout ce qui les distingue.

Notes:

1  «A la gauche de la famille», Stéphanie Pahud, Pages de gauche n° 90, août 2010.

2  «Cher • ère • s lect • eur • rice • s», Jean-Blaise Rochat, La Nation n° 2083 du 10 novembre dernier.

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