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Considérations d’un Vaudois échaudé sur la révision de la Constitution valaisanne

Xavier Panchaud
La Nation n° 2085 8 décembre 2017

L’association «Constituante Valais» est parvenue à faire aboutir son initiative populaire cantonale «pour une révision totale de la Constitution du canton du Valais du 8 mars 1907». L’objectif de cette association est vieux comme le monde: «moderniser» le Valais et l’adapter au goût du jour.

Le mois dernier, le Grand Conseil valaisan a préavisé en faveur d’une révision totale par une assemblée constituante (plutôt que par le Grand Conseil lui-même). Le peuple valaisan se prononcera le 4 mars 2018.

Le quotidien Le Nouvelliste nous indique clairement ce qu’il faut penser de l’actuelle Constitution: «Elle commence à dater.»1 D’ailleurs, sa révision totale n’est remise en question «que par l’UDC»2.

Il existe trois types de griefs formulés à l’endroit de la Constitution valaisanne: les griefs «cosmétiques», les truismes irrelevants et ceux, parfois inavoués, fondamentaux.

Avant de passer en revue ces motifs, il convient de rappeler ce qu’est une constitution. Pour le conseiller national conservateur, juge fédéral et constitutionnaliste valaisan Antoine Favre, «une constitution d’Etat renferme les normes qui aménagent les organes suprêmes de l’Etat, qui fixent le mode de désignation des personnes qui exercent les activités étatiques, les rapports réciproques des divers organes et la condition des particuliers à l’égard de la puissance étatique.»3 La constitution cantonale est l’expression juridique de l’unité politique du canton. Elle délimite les pouvoirs de l’Etat de ceux des districts et des communes. Elle fixe la structure territoriale de l’Etat, en particulier les régions constitutionnelles pour le Valais.

Le Nouvelliste «retrouve dans les lignes poussiéreuses [de la Constitution valaisanne] des articles sur les charges censitaires, l’assurance du bétail, les infirmeries régionales ou encore le juge naturel chargé d’appliquer le droit divin»4. Concernant les dispositions effectivement tombées en désuétude, il suffit de procéder à une révision partielle pour les modifier ou les abroger. Cette mesure ne serait sans doute pas combattue politiquement. Ainsi, il n’y aurait nul besoin de lancer une révision totale pour ces modifications mineures et superficielles.

Cela étant, nous restons stupéfait par le passage relatif «au juge naturel chargé d’appliquer le droit divin». Cette phrase est curieuse. Peut-être que le quotidien essaie de nous démontrer que ce texte est particulièrement archaïque vu qu’il accole le mot divin au mot naturel? Nous précisons que la Constitution actuelle ne fait nulle mention du «droit divin» et que son article 5 dispose simplement que «nul ne peut être distrait de son juge naturel». Il s’agissait à l’origine de la garantie de ne pas être jugé par un juge étranger, devenue la garantie de ne pas être jugé par un tribunal d’exception.

Dans la deuxième catégorie des critiques, on relève des banalités sans pertinence. «Il n’y a plus qu’Appenzell Rhodes-Intérieures et Zoug qui partagent avec le Valais une charte fondamentale vieille de plus de cent ans.»5 Nous ne voyons pas bien pourquoi une loi deviendrait forcément mauvaise du fait de l’écoulement du temps. La Constitution des Etats-Unis date de 1787 et semble pourtant convenir à la plus grande puissance mondiale, malgré son ancienneté. Il en va de même pour la question de la population; la journaliste ajoute que «la Constitution a été pensée pour 70’000 habitants». Le Valais en compte aujourd’hui cinq fois plus. Et alors? La population américaine a été multipliée par cent depuis la rédaction de sa loi suprême. L’accroissement de la population d’un Etat ne rend pas nécessairement caduque sa charte. Ces critiques sont infondées6.

Le troisième type de critiques est plus important. Le Nouvelliste se désole que la Constitution ne mentionne pas «l’égalité des genres» et «le droit de vote des étrangers»7. En l’occurrence, l’article ne parle pas de supprimer l’invocation divine figurant en préambule de la Constitution. Toutefois, gageons que les mouvements laïcistes, malheureux lors de la récolte de signatures de leur initiative populaire «pour un Etat laïque» en 2015, ne vont pas se priver de revenir à la charge dans le cadre d’une révision totale.

Il est à noter que la quasi-totalité8 des critiques énoncées contre la Constitution ne concernent pas sa partie instrumentale, telle que définie par Antoine Favre ci-dessus. En fait, nous pouvons prévoir que différents groupes voudront profiter d’une révision totale pour tenter d’effacer de la Constitution valaisanne les dernières traces de son inspiration chrétienne d’origine, tout en y rajoutant des règles matérielles qui influenceront l’action de l’Etat, telle que «l’égalité des genres».

Le principe même d’une révision totale de constitution est assez périlleux. Il contraint in fine la population à s’exprimer par un vote unique sur des sujets multiples. Au contraire, le principe de l’unité de matière applicable dans le cadre d’une révision partielle permet, en général, au citoyen de se déterminer sur un objet précis, sans équivoque. De ce point de vue, les normes introduites par une nouvelle constitution ont une légitimité démocratique plus faible que celles découlant de modifications ponctuelles.

Le pire n’est jamais certain, mais l’expérience récente démontre que les révisions totales permettent «d’incruster» (ou d’abroger) des dispositions qui n’auraient pas été acceptées (ou supprimées) par le souverain lors d’une révision partielle. Par exemple, la révision totale de la Constitution fédérale de 1999 a octroyé une compétence écrite et globale à la Confédération en matière de culture, alors même que le peuple et les cantons avaient refusé cet objet par deux fois, en 1986 et 1994. La révision totale de la Constitution vaudoise a également introduit le droit de vote et l’éligibilité des étrangers sur le plan communal9 ainsi que la reconnaissance étatique d’autres communautés religieuses que l’Eglise réformée et l’Eglise catholique10.

Notes:

1  «Qui pour dépoussiérer notre Constitution?», Le Nouvelliste, 2 novembre 2017, p. 2.

2  Idem.

3  Antoine Favre, Droit constitutionnel suisse, 2e éd., Fribourg, 1970, p. 43.

4  Article cité.

5  Idem.

6  La journaliste se plaint également du fait que la Constitution ne fasse pas mention de la liberté d’opinion. Elle n’a semble-t-il pas fait attention à l’article 8, dont la teneur est la suivante: «La liberté de manifester son opinion verbalement ou par écrit, ainsi que la liberté de la presse, sont garanties. La loi en réprime les abus.»

7  Article cité.

8  Il est discuté de supprimer la règle interdisant l’élection de deux conseillers d’Etat provenant du même district.

9  A ce propos, lire l’article «Une Constitution sans âme» d’Olivier Delacrétaz dans La Nation n° 1688 du 6 septembre 2002.

10 La Nation n° 2007 du 12 décembre 2014.

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