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Essertes doit-elle fusionner?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2086 22 décembre 2017

La commune d’Essertes, 350 habitants, bientôt un peu plus de 400 avec les nouvelles constructions, fait frontière commune avec Forel, Servion et Oron, ainsi qu’avec le canton de Fribourg, par Auboranges.

Son Conseil général est composé de trente-cinq membres. Il siège trois ou quatre soirs par année. Le syndic consacre 18% d’un temps plein à sa charge, et ses quatre collègues de la Municipalité, 10% chacun. Ces derniers touchent quatre mille cinq cents francs par année et le syndic six mille, plus les vacations (Fr. 40.– l’heure). La secrétaire municipale travaille à 40%.

En 2012, Essertes fut invitée à fusionner avec une dizaine de communes centrées sur Oron et Palézieux. Le Conseil général déclina l’offre à l’unanimité, moins une abstention. Il refusa même, éteignant l’incendie avant que l’allumette ne soit frottée, qu’on lui présente un simple rapport sur la question.

Et voici que, cinq ans plus tard, la Municipalité informe le Conseil général qu’elle examine la possibilité d’une fusion avec Oron. La presse, qui adore les fusions, a présenté celle-ci comme d’ores et déjà décidée, ce qui a heurté pas mal de monde dans la commune. Profitons de l’occasion pour mettre deux ou trois choses à plat.

Pourquoi?

Qu’est-ce qui a changé en cinq ans? Au fond, rien de cosmique. La Municipalité voulait placer la population devant la réalité des choses, les tâches et les charges financières des communes qui ne cessent de s’alourdir pendant que leurs marges de manœuvre et d’autofinancement diminuent, une administration cantonale très contrôleuse et dont les exigences imposent aux municipaux de suivre des cours de formation complémentaire et, trop souvent, de recourir à des professionnels extérieurs, enfin, un certain sentiment d’abandon, l’Union des communes vaudoises étant trop intégrée à l’officialité cantonale pour jouer efficacement son rôle de syndicat des communes, autrement dit de contrepouvoir face à l’Etat.

Et puis, la population change. Plus d’un habitant d’Essertes est comme l’oiseau sur la branche, prêt à plier bagage au moindre changement professionnel, familial ou financier. Son attitude est celle du consommateur volage plus que du citoyen enraciné: «Je paie, donc j’ai droit, et tout de suite!» Cela ne pousse pas à s’engager pour les affaires communales. On comprend le souci de la Municipalité actuelle, dont au moins trois membres ont l’intention de se retirer à la fin de la législature, en 2021: trouvera-t-on des successeurs? Et il faudrait les trouver sans trop tarder si l’on veut éviter des tractations inutiles et coûteuses avec Oron. On a aussi évoqué une fusion avec Servion, avec laquelle Essertes a en commun la station d’épuration et la distribution d’eau. Nous n’en parlons pas dans cet article.

Avantages, réels ou fictifs, d’une fusion

Fusionner avec une grande commune offre sans doute quelques services supplémentaires, un site plus sophistiqué, une déchetterie générale, un déneigement professionnel (mais il existe des amateurs à la hauteur), l’ouverture quotidienne de l’administration communale. Là non plus, rien de cosmique. Et notons que si le greffe d’Essertes n’est ouvert qu’un soir par semaine, il est du même coup plus accessible au citoyen ordinaire qu’une administration qui ne fonctionne que durant les heures de bureau.

D’expérience, la fusion ne rapporte rien sur le plan financier. S’adressant à la population des neuf communes qui se préparaient à fusionner sous le nom de Montanaire, le conseiller d’Etat Philippe Leuba déclara franchement: «Ne fusionnez pas pour économiser, vous n’économiserez pas!» Ce qu’on gagne en suppression de postes, on le perd en remplaçant des bénévoles par des professionnels rémunérés.

En l’occurrence, toutefois, une fusion avec Oron nous vaudrait – vraisemblablement – une baisse de trois points d’impôt, la cuisine péréquative d’Etacom avantageant les grandes communes.

Une autre idée reçue est que plus une commune est étendue et populeuse, mieux elle pourra s’opposer à l’Etat. C’est une erreur de poser la question dans ces termes: comment en effet une commune, même grande, serait-elle en mesure d’affronter politiquement le pouvoir cantonal alors que c’est de lui qu’elle tient son autonomie? Les différends entre les communes et l’Etat sont l’affaire des syndicats de communes, l’Union des communes vaudoises déjà mentionnée et l’Association de communes vaudoises.

En réalité, une commune est forte de son unité et de la volonté de ses autorités plus que du nombre de ses habitants. Et ce n’est pas contre l’Etat qu’elle utilise cette force, ni contre le district, mais pour régler les problèmes qui se posent à son niveau.

Les rêveurs s’imaginent qu’une fusion leur permettra de repartir à zéro. Autre erreur: dès l’aube du lundi suivant le soir du vote, les autorités seront au travail. Elles devront s’occuper des mêmes citoyens, affronter les mêmes pesanteurs, les mêmes intérêts, les mêmes oppositions et, devant, derrière, dessus, dessous, dedans, la même administration cantonale. Les chantiers en cours devront être traités dans les mêmes délais et les dettes continuer d’être amorties selon les mêmes taux.

Les travaux de mise en place de la nouvelle commune viendront en plus, pas à la place.

Ce qu’on perd

Nous parlons de fusion, mais, avec Oron, ce serait une absorption pure et simple. Etre absorbé par une commune de plus de trois mille habitants – Oron en compte environ 5400 –, c’est être livré aux partis, à leurs appétits électoraux, à leurs meetings chronophages, à leur nature diviseuse qui fait un motif d’affrontement idéologique du moindre problème d’édilité.

L’institution du Conseil général nous évite ce genre de désagréments. Il suffit d’être majeur, de faire la demande et de prêter serment pour en être membre de plein droit. Ou presque: l’usage veut, voudrait en tout cas, qu’on assiste à une ou deux séances avant de faire profiter le Conseil de sa science.

Le Conseil général n’est pas le lieu des grandes envolées lyriques. On y traite de la distribution d’eau, de l’entretien des routes, des fontaines et des forêts, de la vente du bois de feu, de la facture sociale, des dépenses scolaires, du service du feu, de la protection civile. Cela demande de l’attention, de la patience, parfois une bonne résistance au sommeil. Mais il arrive aussi qu’on discerne, derrière une disposition d’apparence banale, la question de principe qu’elle met en jeu ou les intentions sournoises du service d’Etat qui l’a posée là comme on pose un piège dans une broussaille. Quel bonheur, alors, de débroussailler!

Le membre du Conseil se sent concrètement responsable de ce qui se passe sur le territoire. Il participe directement à la gestion d’un coin du pays, limité mais réel, et à sa mesure. Les dépenses en sont mieux pesées et serrées de plus près. En ce sens, un conseiller général est un citoyen plus complet que les autres. C’est un privilégié civique. Je regretterais de ne plus l’être.

En tant que petite commune, on a son propre centre de gravité. Même si nous avons mille choses en commun avec Oron, l’école, le service du feu, la paroisse ainsi qu’un fonds culturel et sportif, nous conservons une certaine autonomie. Nous tournons autour d’Oron, mais sur notre orbite propre. Une absorption nous décentrerait totalement, faisant de nous le petit quartier périphérique d’une grande commune.

Autre perte à déplorer: trente-cinq collaborateurs, trente-cinq citoyens engagés et soucieux du bien public. Pour le Canton, la disparition d’un Conseil général représente une perte sèche, un appauvrissement de sa substance politique. Il devrait donc éviter de pousser aux fusions, se contentant d’aider celles qui sont réellement indispensables.

L’avenir

Tout bien considéré, la décision de fusionner ou non est suspendue à la réponse à une seule question: trouvera-t-on d’ici à 2021 des personnes ayant assez le sens du bien public pour reprendre la lourde tâche d’un exécutif communal? Si on les trouve, on laisse tomber la fusion. Si on ne les trouve pas, une commune de plus disparaîtra du paysage vaudois. C’est aussi simple et brutal que ça.

Mais pourquoi ne les trouverait-on pas?

Que les autorités actuelles ne jugent pas les difficultés futures de la commune en fonction de leur propre et légitime lassitude. Ce qui paraît insupportablement interventionniste et paperassier à nos yeux est, pour les nouvelles générations, un donné auquel elles sont habituées et qu’elles sont appelées à affronter dans tous les domaines de leur vie professionnelle et associative.

Cette année encore, la Jeunesse d’Essertes a organisé, en mai, son Tour de Jeunesse annuel, en juin, l’Abbaye de Servion, Ferlens et Essertes et en août, les deux semaines du Tir cantonal de la Fédération vaudoise des Jeunesses campagnardes. Un énorme travail parfaitement maîtrisé. De même, plusieurs citoyens tout juste majeurs viennent d’entrer au Conseil général. Il y a là une relève de valeur et, du même coup, un motif d’espoir pour la commune d’Essertes.

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