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L’Etat de Vaud ou la chance

Alexandre Bonnard
La Nation n° 2086 22 décembre 2017

Frédéric-César de La Harpe (ou Laharpe), né à Rolle, avocat, libéral, détestant cordialement ses suzerains bernois (qui le lui rendent bien), se trouve quasiment condamné à l’exil et débarque en 1783 à Saint-Pétersbourg. Par quel miracle, par quel jeu de relations se trouve-t-il aussitôt
nommé précepteur du tsarevitch Alexandre et de son frère cadet Constantin? Leur père, le tsar Paul Ier, est pratiquement inexistant (on sait plus ou moins comment il finira) et c’est la grand-mère, la redoutable tsarine Catherine II qui, renseignements pris, a dû donner son accord à ce choix de première importance.

Devenu tsar, Alexandre Ier reste attaché à son précepteur et s’engage, dès le Congrès de Vienne, à garantir contre toute atteinte l’indépendance et la neutralité vaudoises.

Donc première chance: si La Harpe… mais renonçons au jeu des «si», cette immense, infinie forêt vierge où passe timidement le petit ruisseau des faits.

Deuxième chance, qui n’a rien à voir avec la première: l’Acte de Médiation. Le Premier Consul, empereur l’année suivante, invite aussi une délégation bernoise à la Consulta, mais pour la recevoir fort mal lorsqu’elle vient «légitimement» (soutient-elle) réclamer la restitution de sa «bonne cave». «Le soleil se coucherait plutôt à l’Est» aurait-il déclaré. Mais d’où venait sa tendresse pour ses «chers» Vaudois? Ici il faut consulter entre autres l’ouvrage d’Alain-Jacques Tornare Les Vaudois de Napoléon aux éditions Cabedita. Il est vrai que, lors de sa traversée du Canton pour engager sa campagne d’Italie, il avait été bien reçu. Mais il n’avait pas encore Louis-Joseph Marchand, son fidèle valet de chambre jusqu’à Sainte-Hélène, ni l’Aubonnois Boinot, le seul «qui ait été honnête». Quoi qu’il en soit, il est extraordinaire que le Canton ait été apprécié et défendu par un empereur et un (futur) autre empereur, ennemis mortels ou quasiment.

Mais ce n’est pas tout: nous croyons pouvoir fêter sans arrière-pensée tout d’abord le 24 janvier 1798, départ en douce des baillis à l’arrivée des troupes françaises venant libérer – ou plutôt occuper – le Canton, puis, après la signature de l’Acte de Médiation, le 14 avril 1803, première séance du Grand Conseil. Mais il y a l’aventure napoléonienne, le commencement de la fin avec la retraite de Russie, puis Leipzig, puis… le Congrès de Vienne!

C’est ici qu’il faut se plonger dans le bel ouvrage Le Congrès de Vienne et le Canton de Vaud, no 144 de la Bibliothèque historique vaudoise, reproduisant, sous la direction d’Olivier Meuwly, les vingt-quatre exposés du colloque organisé du 27 au 29 novembre 2014, suggéré, croyons-nous savoir, par notre Chancelier et organisé par M. Meuwly (environ 400 pages, très riche iconographie). Il est  vrai que plusieurs de ces articles traitent de sujets plus ou moins éloignés du fameux congrès, mais la lecture de ceux qui sont «dans la cible» nous rappelle que cette période a été «lourde de menaces» pour l’indépendance du Canton. Il y avait d’un côté Metternich, qui prônait la pleine restauration et par conséquent le retour à Berne de notre «bonne cave». Et de l’autre côté Alexandre Ier qui, suivant les exhortations de La Harpe, secondé par le général «russe» Jomini, ainsi que de ses propres sœurs les Grandes Duchesses à l’instigation de leur gouvernante bien aimée Mlle Huc-Mazelot, de Tolochenaz, sœur du médecin (une plaque a été récemment posée sur leur maison). Alexandre Ier l’emporte avant la fin du Congrès, qui garantit le maintien de l’indépendance du Canton (et de quatre autres), sans pour autant empêcher le passage des troupes alliées à travers notre pays, lors de la campagne de France. Il y a eu la grande perturbation des Cent-Jours et il semble que les alliés étaient sûrs de leur affaire, puisque le Congrès se clôt le 9 juin, neuf jours avant Waterloo. Les alliés avaient-ils prévu que Blücher arriverait avant Grouchy?

Durant toute cette période, la chance continue à nous poursuivre, avec non seulement La Harpe qui se démène à Vienne, mais aussi Monod, fin stratège et grand homme d’Etat s’il en fut, et Capo d’Istria, diplomate hors pair, exécutant avec une habileté exceptionnelle le programme du Tsar. A Genève il a son quai, à Ouchy, dans le parc boisé du Château, son buste discret, La Harpe a son île depuis 1844, année de sa mort.

Pour nous Vaudois, cette période dangereuse (nous avions encore bien des alliés napoléoniens) se termine réellement le 8 juillet 1814 avec la décision formelle du Grand Conseil bernois de renoncer à toutes prétentions sur notre Canton.

La chance et encore la chance… mais nous n’avons pas obtenu la restitution des tapisseries.

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