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Huguenots?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2088 19 janvier 2018

La Revue historique vaudoise a consacré le thème principal de son numéro de 2017 aux Migrations. Cela nous vaut une série d’études, de qualité inégale, sur des sujets très divers. On va de l’immigration artisanale à Aubonne au XIXe siècle au tableau des associations italiennes à Lausanne, en passant par une collection de photos d’Hélène Tobler sur les réfugiés d’ex-Yougoslavie et par une savoureuse présentation, due à M. Georges Andrey, de l’immigration de verriers fribourgeois de Semsales installés à Saint-Prex par Henri Cornaz en même temps qu’il y déplaçait la fabrique dont il avait fait l’acquisition peu auparavant (et depuis lors on appela le quartier nord de Saint-Prex «Cornazville»). Nous nous arrêterons particulièrement à l’article substantiel de M. Jean-Pierre Bastian intitulé La mémoire de l’origine : familles vaudoises, immigration et identité huguenote.

M. Bastian a publié en 2012 un ouvrage approfondi et original sur Une immigration alpine à Lavaux aux XVe et XVIe siècles (BHV 137) où il montrait que la population de cette contrée, décimée par la peste, s’était partiellement reconstituée par l’apport d’immigrés des montagnes de Lombardie, du Faucigny et du Chablais. Or quel ne fut pas son étonnement de constater la surprise de membres de grandes familles de Lavaux, qui croyaient être les héritiers d’héroïques réfugiés huguenots et se découvraient descendre en réalité de miséreux paysans d’incultes vallées alpines. J’ai entendu moi-même, au sein d’une bonne famille de Lavaux, déclarer dans un même souffle qu’elle y cultivait la vigne depuis cinq siècles, depuis la venue d’un lointain ancêtre réfugié lors de la révocation de l’Edit de Nantes – ce qui implique un léger anachronisme d’un siècle et demi… Ici et là, on affabule donc innocemment, tant est présent et respectable le souvenir du Refuge. D’où l’intérêt de s’interroger sur la mémoire qu’on entretient dans nos familles de cet épisode fameux de l’histoire, en légende et en vérité.

L’importance qu’on accorde au Refuge tient largement, selon M. Bastian, aux événements de 1845, avec le totalitarisme des révolutionnaires radicaux qui voulaient s’assujettir l’Eglise, la résistance d’une moitié des pasteurs suivis par les fidèles de tradition aristocratico-bourgeoise ou de conviction libérale et la création de l’Eglise libre en 1846. La «persécution» radicale (il n’y eut tout de même pas de dragonnades!) ravivait le souvenir de la persécution des huguenots après 1685 (révocation de l’Edit de Nantes), encore bien présente dans la mémoire des familles du  Grand Refuge (qui se retrouvent bien sûr à l’Eglise libre, mais n’en constituent qu’une petite minorité); la référence historique conférait une dimension fondamentale à la résistance des libristes face au régime de Druey.

La noblesse de l’attitude huguenote allait de pair avec le prestige d’une élite: combien de pasteurs, de médecins, de professeurs, d’hommes d’affaires à succès dans ces familles, qu’elles fussent effectivement réfugiées ou qu’elles appartinssent à la haute société autochtone! On y entretenait d’ailleurs des relations avec des parents ou des amis de France, notamment à Paris jusqu’au XIXe siècle dans les milieux de la chapelle évangélique de la rue Taitbout; ce qui conduit M. Bastian à parler d’une «internationale libriste», qui s’exprimait aussi bien sur le plan religieux ou intellectuel que sur celui des affaires ou des alliances matrimoniales.

Dans notre Canton, les familles du Refuge, fières de leur passé, n’ont pas manqué de le mettre en valeur dans des études historiques, dès le début du XIXe siècle. Des familles vaudoises d’ancienne souche n’ont pas hésité à s’associer à cette mémoire illustre dès lors qu’un mariage avec une demoiselle de lignée huguenote les introduisait dans ce milieu. L’aura du Refuge était telle qu’un membre de la famille Burnand, tout ce qu’il y a de plus enracinée de vieille date dans la terre de la Haute Broye, discernait une sensibilité «provençale» dans la peinture d’Eugène Burnand, parce que son arrière-grand-mère maternelle était une Johannot originaire d’Ardèche par son père, réfugié pour cause de religion…

Si la légende a donc amplifié le fait historique, il n’en reste pas moins que la venue des huguenots quittant la France pour conserver leur foi a compté dans notre histoire et que les «vrais» descendants des familles du Refuge – les Bersier, les Bonnard, les Couvreu, les Manuel, les Mercier, les Rivier pour n’en citer que quelques-unes – ont brillamment honoré leurs origines et servi le pays qui est devenu le leur.

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