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Notre orchestre

Jacques Perrin
La Nation n° 2088 19 janvier 2018

L’Orchestre de Chambre de Lausanne fête ses septante-cinq ans. Il donna son premier concert le 10 novembre 1942, mais existe officiellement depuis le 7 février 1943. Il n’est pas trop tard pour présenter l’ouvrage de M. Antonin Scherrer, L’Orchestre de Chambre de Lausanne, une épopée humaine et artistique en 7 tableaux (éd. INFOLIO).

Ce livre, à l’iconographie abondante et soignée, nous transporte, car il illustre deux réalités auxquelles nous tenons, la communauté et la durée. M. Scherrer montre comment, alors que la Suisse est cernée par les belligérants, les Vaudois se rassemblent pour créer en leur sein une communauté nouvelle destinée à répandre les chefs-d’œuvre de la musique dans un pays menacé.

L’OCL a enchanté trois générations. Il s’inscrit dans la durée grâce à des dizaines de personnes qui se sont engagées dans l’aventure. Antonin Scherrer n’oublie personne, chefs, musiciens, garçons d’orchestre (devenus régisseurs techniques), administrateurs (seulement cinq en septante-cinq ans), ingénieurs du son, graphistes, chroniqueurs, secrétaires, conseillers d’Etat, syndics de Lausanne, hommes de radio et de télévision, sans oublier les bienfaiteurs privés. Les noms familiers défilent: Victor Desarzens, Jean-Marie Auberson, Arpad Gerecz, Heinz Holliger, Armin Jordan, Christian Zacharias, Charles Veillon, Jean-Jacques Rapin… et Marcel Regamey, membre du Conseil d’administration et de la Commission musicale qu’il présida de 1974 à 1977.

Parmi toutes ces personnalités, il faut mettre à part Victor Desarzens. C’est lui qui donna le branle. Fils de boulanger, violoniste, il dirigea l’orchestre durant trente et un ans. Marcel Regamey lui rendit hommage dans une plaquette en 1973. Ecartelé entre le classicisme français et le romantisme germanique, solitaire, épris d’absolu et de perfection jusqu’à la folie, Desarzens sutura ses déchirures intimes et réconcilia les opposés, sachant traduire aussi bien le tragique du Cornet de Frank Martin sur un poème de Rilke, que le final lumineux de Ma Mère l’Oye de Ravel, faisant part égale aux œuvres classiques et aux créations contemporaines. En témoigne le coffret de six CD sorti en même temps que le livre. Les deux premiers disques nous émeuvent particulièrement. Victor Desarzens y interprète Bach, Mozart et Haydn, mais aussi Malipiero, Frank Martin, Hindemith et Julien-François Zbinden.

Desarzens n’a pas passé sous silence ses liens au Pays: J’estime qu’il est de mon devoir, en tant que serviteur de la musique, de contribuer à la réalisation de ce que je crois être nécessaire pour le bien supérieur de la culture dans le canton de Vaud, indépendamment de tout intérêt personnel. Lorsqu’il raconte ses rencontres avec Gustave Doret dans le train les conduisant d’Aran à Lausanne, il évoque son attachement au Canton, qui fonda sa décision de doter la ville de Lausanne et le Pays de Vaud d’un orchestre qui fût leur.

La passion d’un directeur musical ne suffit pas à faire subsister une entreprise de cette envergure, il faut des sous. M. Scherrer consacre beaucoup de pages aux questions administratives, financières et salariales (pas d’aventure sans armature, dit-il). La survie de l’orchestre se joue à ce niveau. L’OCL manque de s’effondrer à deux reprises, d’abord dans les années soixante, à cause d’une rupture des conventions collectives et de menaces de grèves, puis en 2009, souffrant de déficits sévères et de la mésentente entre certains musiciens, lesquels se montrent parfois, à la fin de l’ère Jordan par exemple, indisciplinés comme des écoliers… 

Les troubles s’apaisent et la cohésion est restaurée grâce aux efforts communs d’administrateurs avisés et de musiciens acceptant une baisse de salaire.

Grâce à de nombreuses tournées, conduisant l’OCL du Teatro Colon de Buenos Aires à la Goldener Saal du Musikverein de Vienne, et à des enregistrements prestigieux (les concertos pour piano de Mozart par Zacharias, entre autres), la réputation internationale de l’orchestre est désormais fermement établie. L’heureuse habitude de glisser dans les programmes des œuvres contemporaines, notamment de compositeurs suisses, se maintient.

Dans les trois dernières pages du livre, que se partagent l’ancien flûtiste et président Pierre Wavre, le directeur exécutif Benoît Braescu et Josuah Weilerstein, successeur de Christian Zacharias, l’avenir se dessine. Wavre et Braescu explorent quelques pistes, non sans user parfois de tournures passe-partout: «se mettre en danger», «sortir de la zone de confort», «se remettre en question». Il faut sans doute maintenir l’excellence, attirer les jeunes au concert, et exploiter les nouvelles «technologies», construire une nouvelle salle de concert translucide, imaginer des abonnements à la carte… ou peut-être casser les rituels, renoncer au frac… qui sait?

La page de Weilerstein nous séduit autant que ses speechs en début de concert, amusants et instructifs. Comme Desarzens, il fera la part belle aux créations contemporaines sans sacrifier Mozart et Beethoven. Néanmoins, il n’autorisera pas le public à tweeter durant les concerts et ne tweetera pas lui-même comme certains de ses collègues américains: le concert n’est pas une séance de relaxation, on peut se laisser aller sans dormir, dit-il.

Avant même la création de l’orchestre, le musicien tchèque Bohuslav Martin? composa à la demande des frères Desarzens, violonistes tous deux, son Duo concertant. Tout récemment, l’altiste Antoine Tamestit a subjugué le public en jouant le Rhapsody-concerto du même Martin?. En juin, Weilerstein clora la saison avec la Neuvième symphonie de Beethoven, avec en guise de prélude le Double concerto pour deux orchestres à cordes, piano et timbales de… Martin?. Voilà ce qui s’appelle avoir de la suite dans les idées. L’épopée mouvementée de l’OCL est arrimée à la tradition.

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