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Un approvisionnement fragile

Cédric Cossy
La Nation n° 2088 19 janvier 2018

Quelles menaces planent sur l’approvisionnement de la Suisse? En cas de crise ou de conflit, allons-nous manger à notre faim? Y aura-t-il encore des antibiotiques pour soigner nos malades? Devrons-nous ressortir les bougies et réinstaller un fourneau à bois?

L’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE), rattaché au département de M. Schneider-Ammann, a pour rôle d’identifier de tels risques, de prévoir les mesures compensatoires pour éviter la pénurie et gérer le rationnement si celle-ci venait à s’installer.  Son activité s’appuie sur la loi fédérale sur l’approvisionnement économique du pays (LAP) et les nombreuses ordonnances qui en découlent. L’Office a publié en décembre dernier son quadriennal «Rapport sur les risques auxquels est exposé l’approvisionnement du pays». Celui-ci analyse les principales menaces planant sur huit secteurs d’activité jugés stratégiques.

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Côté alimentation d’abord, le rapport rappelle que, si les Suisses sont presque autonomes pour les aliments d’origine animale (mais partiellement obtenus à partir de fourrages étrangers), ils importent 57% de leur alimentation végétale. L’autosuffisance pour certains produits comme le sucre ou les dérivés du soja est même inférieure. Enfin, l’agriculture suisse dépend fortement des fertilisants phosphatés aux azotés étrangers. Des stocks de céréales, huiles, sucre, café et fertilisants, ont été constitués et permettent de couvrir deux à quatre mois de besoins. L’accès aux semences, enfin, est une autre source de préoccupation: celles-ci sont majoritairement importées à partir d’un marché contrôlé par une poignée de multinationales.

L’eau potable est accessible partout et en quantité. Le maillage des réseaux de distribution rend le risque de pénurie quasi nul, même en cas de forte sécheresse. Le rapport souligne toutefois qu’en de nombreux lieux, l’eau potable est obtenue au travers d’unités de traitement et de pompage nécessitant un approvisionnement fiable en électricité.

La production électrique indigène couvre environ les besoins des Suisses. Il faut toutefois acheter du courant en hiver sur le marché européen et en revendre en été. Le tiers de notre production est d’origine nucléaire et la fermeture décidée des centrales suisses (Mühleberg débranche en 2019 déjà) devra être compensée par une hausse des importations. Au vu de la structure du marché européen, ce n’est pas tant la pénurie de production que la surcharge du réseau d’acheminement qu’il faut craindre. Nos barrages permettent certes de répondre rapidement à un manque à l’importation, mais pour des périodes très limitées. Les difficultés institutionnelles, notamment l’absence d’accord sur le marché de l’électricité entre la Suisse et l’UE, sont aussi évoquées.

La Suisse s’approvisionne intégralement à l’étranger en produits pétroliers. Avec la fermeture de la raffinerie de Collombey en 2015, cette dépendance concerne désormais aussi les opérations de raffinage. Ceci ne semble pas poser problème au vu de la surcapacité de production et de raffinage à l’échelle planétaire. De plus, la Confédération vit sur un stock correspondant à plus de trois mois de vente de produits raffinés. Au vu des volumes nécessaires, le risque majeur identifié est de nature logistique: avec la fermeture du pipeline sud qui alimentait Collombey, la capacité de transport pour importer des produits raffinés risque d’être insuffisante en cas de crise.

L’approvisionnement en gaz s’est au contraire amélioré ces dernières années. Avec la prospection des gaz de schistes, la production mondiale s’est fortement accrue; les nouvelles techniques de transport maritime sous forme liquéfiée, avec possibilité d’injection dans le réseau depuis l’Italie, réduisent notre dépendance vis-à-vis des pipelines venant du Nord-Est. Reste la difficulté liée à l’absence de stockage sur territoire suisse. Un accord passé avec la France permet à la Suisse de bénéficier d’une partie des réserves du stock souterrain d’Etrez, dans l’Ain.

La production des médicaments et dispositifs médicaux de base a disparu du territoire suisse! Nos industries pharmaceutiques concentrent désormais leur activité indigène sur des produits de pointe. La dépendance des Suisses vis-à-vis de l’UE et de l’Asie est dès lors quasiment totale pour les médicaments courants et les vaccins. Les canaux logistiques sont complexes et les ruptures de stock sont déjà une réalité vécue par les grands hôpitaux. La Suisse dispose d’une réserve stratégique correspondant à trois mois de besoins pour les antibiotiques, les analgésiques et l’insuline; une réserve de vaccins est en constitution, mais la pénurie mondiale prolonge cette opération.

Le transport et la distribution de tous les biens de nécessité détaillés ci-dessus nécessitent des processus logistiques fiables, qu’ils soient indigènes ou se déroulent à l’extérieur de nos frontières. Les chaînes de transport maintenant très fragmentées font désormais appel à d’innombrables acteurs dont les activités sont coordonnées et tracées par des logiciels de gestion et de communication complexes et étendus. Les processus physiques de transport dépendent de la disponibilité des produits pétroliers.

Le bon fonctionnement des services d’information et de communication est non seulement indispensable au bon fonctionnement de la logistique, mais aussi aux six autres secteurs analysés dans le rapport. Ceux-ci nécessitent, outre une protection raisonnable contre les actes de malveillance, une alimentation ininterrompue en électricité et une fiabilité sans faille des réseaux de communication nationaux et étrangers.

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Les influences directes d’un secteur sur le fonctionnement d’un autre secteur sont certes analysées, mais certaines cascades d’implications plus larges mériteraient d’être imaginées: pas de courant à pompes à essence en panne à plus de transport à plus de livraison de médicaments; cyber-attaque sur les logiciels de dispatching d’électricité à interruption des systèmes de communication à paralysie des systèmes logistiques et de distribution à pénurie alimentaire dans les magasins… Cet exercice d’imagination permet de faire ressortir les deux secteurs qui, à nos yeux, doivent faire l’objet de la plus grande attention. Premièrement, rien ne peut fonctionner en Suisse sans électricité. Les moyens de production et de distribution de cette ressource devraient donc faire l’objet de la plus haute attention. Or la Suisse s’apprête à fermer ses centrales nucléaires, à vendre ses barrages et à augmenter sa dépendance vis-à-vis de l’Europe. Secondement, répondre à une possible nécessité d’autoproduction alimentaire raisonnable semble parfaitement impossible: outre qu’un nouveau Wahlen ne trouverait pas la surface cultivable nécessaire, il manquerait de quoi l’ensemencer et la fertiliser, et surtout de paysans pour la cultiver. Exiger d’eux d’être des entrepreneurs de niche compétitifs sur le marché agricole européen est tout simplement absurde.

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