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Déclin du socialisme?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2089 2 février 2018

En Allemagne, on ne sait pas encore si la grande coalition des démocrates-chrétiens et des socialistes verra le jour; l’assemblée des délégués du Parti social-démocrate (SPD) a certes donné son feu vert à la poursuite des négociations, mais il faudra encore l’aval de la majorité des 450’000 militants lors d’une votation générale, qui est loin d’être acquis. En effet le SPD, qui n’a jamais recueilli aussi peu de voix (20%) que lors des dernières élections, n’a pas profité de sa participation au gouvernement sortant, mais s’est bien plutôt fait phagocyter par son puissant partenaire; et certains socialistes craignent que cela continue, jusqu’à envisager l’implosion du parti s’il ne sait plus se profiler de manière autonome. Cependant, en cas de nouvelles élections (inévitables si la formation d’un gouvernement échoue), sa cote tomberait encore plus bas, selon les sondages, au profit de l’extrême-droite qui pourrait même dépasser le parti de M. Schultz.

Les difficultés du SPD ne sont pas un phénomène typiquement allemand. Le Parti socialiste français n’est plus qu’un champ de ruines. Il est à peu près inaudible dans l’hémicycle et sur la place publique. Dépourvu de personnalités d’envergure, il peine à trouver un nouveau chef. Il n’a plus le sou et vend son siège: les héritiers de Mitterand pourront écrire un nouveau chapitre des «souvenirs de Solférino». Est-ce dû à la présidence hésitante et médiocrement pépère de François Hollande? A la bataille des jeunes loups s’entre-déchirant pour prendre la succession? Au rétrécissement de son audience entre le macronisme naissant, le bloc du Front national et le fan-club du talentueux Mélenchon? Ou faut-il chercher des causes plus profondes?

Ailleurs en Europe, malgré la mort du communisme, les affaires de la gauche dite modérée ne vont pas très fort non plus. En Italie, depuis la disparition du ciel politique de l’étoile filante que fut l’estimé maire de Florence, ce sont d’autres étoiles, au nombre de cinq, que l’on observe avec incrédulité au firmament de la République: un parti fantaisiste, insaisissable, populaire sans doute le temps de quelques scrutins, mais sans doctrine ni consistance. La gauche, elle, est en lambeaux et, coucou! l’inénarrable Berlusconi refait surface. L’Espagne et l’Autriche ont renvoyé les socialistes dans l’opposition, le Royaume-Uni de même pour le Labour, bien que les Tories ne soient pas au mieux de leur forme. Même les pays scandinaves vivent au rythme d’alternances impensables à l’époque du triomphe durable de leur collectivisme si particulier et pleinement assumé.

Si l’on retient l’hypothèse d’une tendance plus ou moins générale, tenant à des motifs fondamentaux au-delà des circonstances du moment, des mouvements de balancier, des insuffisances personnelles, on peut retenir au moins trois explications.

D’abord, la disparition du monde ouvrier qui formait le gros des troupes de la gauche (socialiste ou communiste là où les moscoutaires existaient). Les mines sont fermées, les usines automatisées. Même sur les chantiers, le travail est devenu plus mécanisé et plus individuel. Adieu les bataillons de gueules noires, de métallos, de terrassiers! Il subsiste bien sûr des travailleurs peu payés, des manutentionnaires, les petites mains des grands magasins, des journalistes à la maigre pige, des sociologues en demi-chômage, des nettoyeurs à la nuit tombée. Mais c’est une population éparse, multipliant parfois les petits jobs, pas forcément mécontente d’une certaine précarité qui va de pair avec une certaine liberté; une population qui n’adhère à nul élan collectif, ne ressent guère le besoin d’une solidarité de «classe» et ne prend pas la carte du Parti.

Ensuite, la peur de la mondialisation, qui vous donne le tournis avec ses forces insaisissables, ses mouvements migratoires menaçant votre identité collective et votre emploi personnel, son réseau numérisé plein de mystères. Il y a de quoi faire réagir les petites gens, mais voilà: ce n’est pas le socialisme, internationaliste lui-même dans son ADN et un peu encore dans son discours actuel, qui va vous rassurer et vous défendre contre cet univers inquiétant et parfois hostile. Les partis «nationalistes» – même s’ils sont impuissants au-delà de leurs imprécations – savent mieux donner l’espoir d’une régulation de ce monde en tohu bohu et d’un retour aux bonnes vieilles habitudes.

Enfin, le combat de la gauche collectiviste ne mobilise plus… parce qu’il a été gagné. Les pays de l’Europe occidentale, à des degrés divers, sacrifient tous à l’Etat-providence. A force de salaires minimaux, de sécurité sociale, de fiscalité redistributrice, d’assurances obligatoires, de subventions aux familles, on a presque tout fait pour transformer le peuple des pauvres en un peuple des assistés. Certes, le chômage de longue durée laisse des gens sur la paille et plus d’une famille «atypique» (c’est-à-dire avec un seul parent; mais pourquoi donc mépriser le mariage?) tire le diable par la queue. Toutefois, il se trouve presque toujours un maillon du filet social pour vous empêcher de tomber tout en bas. Renforcer encore le partage des ressources en pénalisant davantage ceux qui réussissent, ou instaurer le revenu universel (à un niveau forcément minimal)? On sent bien que l’extension de la solidarité obligatoire connaît des limites à ne pas franchir sous peine d’énerver l’économie et d’anémier le pays. Les sociaux-démocrates ont atteint leur but.

Dans ce tableau continental, notre pays fait un peu exception. Sur le plan suisse, le Parti socialiste plafonne, mais ne s’effondre nullement. Le compartimentage fédéraliste et l’élection à la proportionnelle neutralisent les grands mouvements de balancier, dans une Confédération dont maint canton cultive un esprit civique où les familles ont le sens des responsabilités et savent compter. Il faut dire aussi que ces mêmes vertus ont retenu l’Etat fédéral d’aller jusqu’à se montrer totalement providentiel. Il reste donc un peu de grain à moudre pour les collectivistes. Le Parti socialiste suisse se maintient par conséquent, tant bien que mal.

Dans les cantons, il y a des hauts et des bas. A Neuchâtel, les grandes heures du socialisme horloger semblent appartenir au passé. A Berne, la cohorte rouge des cheminots n’est plus ce qu’elle était. A Zurich, l’UDC a su séduire l’électorat populaire, mais la gauche n’est pas morte. Ni à Bâle-Ville. A Genève, aucun observateur extérieur ne comprendra jamais rien au tumulte politique; donc tout est possible.

Le Canton de Vaud est l’un des rares où le Parti socialiste domine. Ce n’est nullement celui des ouvriers, disparus ici comme ailleurs et qui n’ont du reste jamais été très nombreux en dehors de  trois ou quatre lieux d’industrie. C’est celui des fonctionnaires et du vaste secteur parapublic et subventionné, de tout un monde de nouveaux petits bourgeois (menés par une coterie d’intellectuels talentueux) qui vit bien de l’Etat et soutient donc l’Etat, dans l’enseignement, la santé, les services sociaux, les services techniques, l’urbanisme, l’environnement. Les socialistes, après les radicaux, se sont installés dans le fromage; comme leur conquête du pouvoir est récente, le pays n’en est pas encore las: cela peut durer.

Quant au jeu politique, l’autorité, l’intelligence et l’habileté de M. Maillard, que son comparse des Finances a su reconnaître plutôt que contester, ont assuré pendant deux législatures la prédominance de la gauche. Le nouveau Grand Conseil semble un peu moins enclin que le précédent à suivre docilement la large majorité étatiste du gouvernement. L’avenir dira si l’Etat de Vaud, au sein d’une Europe apparemment fatiguée des socialistes, restera presque le seul à dérouler le tapis rouge devant leurs pas.

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