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Ah, que j’aime les militaires!

Jacques Perrin
La Nation n° 2090 16 février 2018

L’école et l’Université promouvront-elles encore la lecture et l’écriture? Parfois nous nous prenons à douter. La numérisation et la digitalisation favoriseront-elles la lecture lente et réfléchie? L’usage intensif des moyens électroniques bénéficiera-t-il à l’élégance et à la précision du style? Pas sûr…

Pour défendre la lecture et l’écriture, faudra-t-il donc nous tourner vers les soldats? Certes De Gaulle ou Churchill n’étaient pas de médiocres écrivains, et deux petits faits récents nous entraînent aujourd’hui encore sur la piste militaire.

Il y a quelques mois, Donald Trump nommait James Mattis au poste de secrétaire d’Etat à la défense des Etats-Unis. Autrement dit, Mattis, général de l’US Marines Corps à la retraite, allait diriger le Pentagone. Bardé de décorations, muni d’états de service superlatifs, il s’est distingué aussi par son amour de l’histoire militaire et de l’histoire générale. Sa bibliothèque personnelle compte 7000 volumes. Il imposait à ses officiers des listes de lectures obligatoires, n’acceptant en aucun cas l’excuse «nous sommes trop occupés pour avoir le temps de lire». Marc-Aurèle est son modèle. Voici ce qu’il pense des bienfaits de la lecture: Le problème avec le fait d’être trop occupé pour lire, c’est qu’on apprend par l’expérience (ou l’expérience de ses hommes), c’est-à-dire de la manière dure. En lisant, on apprend de l’expérience des autres, ce qui est en général une meilleure manière de conduire ses affaires, surtout dans notre métier où les conséquences de l’incompétence sont fatales pour de jeunes hommes. Grâce à mes lectures, je n’ai jamais été pris de court par aucune situation, jamais sans savoir comment un problème a déjà été abordé (en bien ou en mal). Ça ne me donne pas toutes les réponses, mais c’est une lumière sur un chemin qui est souvent sombre.

De l’autre côté de l’Atlantique, Emmanuel Macron a appelé le général quatre étoiles François Lecointre à la fonction de chef d’état-major des armées. Lecointre a prouvé maintes fois sa valeur sur le terrain en tant qu’officier des troupes de marine, notamment en Bosnie, en Côte d’Ivoire et au Mali. Voici ce qu’il écrit dans le Figaro du 18 janvier en guise de commentaire à l’excellent ouvrage collectif qu’il a dirigé aux éditions de poche Folio-histoire (Gallimard), intitulé Le Soldat, XXe-XXIe siècle:

L’écriture, j’en suis convaincu, est une obligation autant qu’une nécessité. Il faut écrire, pour structurer ses réflexions, forger ses propres convictions et mettre de la cohérence dans ses pensées à fin d’action. Il n’y a pas de meilleur moyen pour qui veut développer une pensée personnelle et structurée, une pensée éprouvée sur laquelle construire un raisonnement et asseoir une décision […]. Faire l’impasse sur l’écriture n’est pas admissible chez ceux qui se disposent à être des chefs militaires […]. J’ai toujours encouragé mes subordonnés, quel que soit leur grade, à s’astreindre à l’exercice du journal de bord personnel en opérations. Prendre le temps d’écrire, de recueillir ses impressions de tout ordre, de tirer les enseignements de la mission tout juste effectuée, de raisonner l’opération à venir, autant d’actes salutaires et indispensables pour maîtriser l’action.

Les généraux Lecointre et Mattis ne sont pas des blattes de bureau. La mâchoire carrée, le poil ras, le regard clair, ils ont la «gueule de l’emploi».

Lors des attentats en France, les politiciens faisaient pâle figure, comparés aux officiers de la Gendarmerie et des forces spéciales d’intervention. Ceux-ci nous inspiraient plus confiance que Hollande et Valls réunis.

Dans son opéra-bouffe La Grande-duchesse de Gérolstein, Jacques Offenbach gorillait la soldatesque et sa gloriole, en la personne du burlesque général Boum.

Désormais nous écouterons l’air de la grande-duchesse – Ah, que j’aime les militaires ! – d’une oreille moins moqueuse.

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