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Comment Léon Savary sauva la vie à Gérard Horst

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 2091 2 mars 2018

Dans l’article «Léon Savary contre les tartuffes» paru ici-même il a quinze jours, nous avons brièvement signalé que le journaliste accrédité au Palais fédéral pour le compte de la Tribune de Genève était intervenu en faveur du Dr Walter Michel, un ami bellettrien accusé d’avoir été un agent allemand, et avait usé de ses relations pour empêcher l’extradition de son frère de couleurs bellettrien Gérard Horst, alias André Gorz, né à Vienne d’un père juif allemand. Soyons précis: dans ce dernier cas, c’est d’abord par son courage et son engagement personnel que Léon Savary a sauvé cet étudiant d’une mort quasi certaine. Le récit de son intervention à Berne vaut le détour.

Tout commence un soir d’été en 1944 à Lausanne. Débarquant du local de Belles-Lettres, un trio de joyeux drilles formé de José Bovay, Pierre Cordey et Jean-Pierre Moulin va finir la soirée au bar du Métropole. Ils tombent sur leur camarade bellettrien Gérard Horst, un peu éméché – lui qui ne fréquente jamais les bars – et qui n’en mène pas large: «L’administration fédérale refuse de renouveler mon permis de séjour. Je vais être expulsé de Suisse et finir ma vie dans un camp nazi.» Le lendemain matin, nous explique Jean-Pierre Moulin, démarre «une procédure dont Léon Savary est le chevalier de tête». Rapidement informé de la menace qui plane sur ce Bellettrien, le journaliste parlementaire, toutes affaires cessantes, demande un entretien au chef de la Police fédérale des étrangers. Il entre dans son bureau, un exemplaire de la Tribune de Genève à la main, «pliée comme un bâton». A l’issue de l’entretien, il se heurte à un refus. Il frappe alors avec son «arme» en papier sur le bureau du fonctionnaire et lui intime l’ordre de revenir à de meilleurs sentiments: «Monsieur le Directeur, je ne quitterai votre bureau que quand vous aurez signé la prolongation de séjour de Gérard Horst.» Il obtient instantanément gain de cause. Cette scène a été rapportée par José Bovay à Tamara Leuenberger, auteur d’un mémoire de licence bien documenté sur Léon Savary (Université de Fribourg, 2008). Jean-Pierre Moulin, interrogé à son tour par cette étudiante, livre une version à peine différente: «Il était puissant. Je ne sais pas s’il est arrivé avec le journal, mais il a été reçu et il a dit: “ Si vous mettez à exécution l’expulsion de notre ami Gérard Horst, je fais un scandale national, dussé-je y perdre ma place, ça m’est égal! ”» Jean-Pierre Moulin ajoute que Savary a sauvé la vie de Horst, mais que celui-ci «ne lui en a été d’aucune façon reconnaissant».

Gérard Horst était entré à Belles-Lettres en octobre 1942, en même temps que Charles Apothéloz et Jean-Pierre Moulin. Il avait débarqué avec La Nausée de Sartre sous le bras et avait introduit l’existentialisme à Belles-Lettres, se souvient Jean-Pierre Moulin. Il sera secrétaire de la société lausannoise de Belles-Lettres, puis secrétaire central. Licencié ès sciences en 1945, il publie ses premiers articles dans le journal de gauche Servir. C’est à lui qu’on doit, en juin 1946, la venue à Lausanne de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, hôtes de la Société de Poésie créée sur l’initiative d’Edmond Jaloux. Il s’établit en 1949 à Paris, où il collabore à Paris-Presse l’Intransigeant sous le pseudonyme de Michel Bosquet, puis à L’Express. Il obtient la nationalité française en 1957. Fervent disciple de Sartre, il entre au comité de direction de la revue Les Temps modernes, où il assume  bientôt la responsabilité éditoriale. Il va aussi collaborer au Nouvel Observateur. Pour la suite de sa carrière, parsemée d’écrits écolo-fondamentalistes, on se reportera utilement à la biographie de Willy Gianinazzi, «André Gorz. Une vie» (La Découverte, 2016), parue neuf ans après que Horst et son épouse se fussent ôté la vie.

Pourquoi Gérard Horst n’a-t-il témoigné aucune reconnaissance à son frère de couleurs et grand aîné Léon Savary, en poste à Paris pendant dix ans et de surcroît président de l’Association de la presse étrangère? Pour Jean-Pierre Moulin, cela tient au caractère même de Horst: un «hyper-intellectuel» au caractère renfermé et secret, d’une froideur extrême. Personnage abstrait, il s’intéressait surtout à sa propre destinée intellectuelle. Les préoccupations des deux hommes étaient à cent lieues les unes des autres. 

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