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Un tournant

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2092 16 mars 2018

Le 10 mars dernier, le Synode de l’Eglise évangélique réformée vaudoise refusait par 47 voix contre 27 et 2 abstentions d’entrer en matière sur le «Rapport sur les dotations» du Conseil synodal. Comment s’explique une décision aussi tranchée?

L’Etat de Vaud alloue un certain montant aux Eglises réformée et catholique dans le Canton. Il est prévu que l’enveloppe de la première diminue chaque année au profit de la seconde, jusqu’à atteindre la parité, prévue pour 2025. L’Eglise réformée se voit contrainte de se réorganiser à la baisse, en d’autres termes de passer de 220 postes (plus exactement, de 220 «équivalents plein temps») à 204. Sur quoi faudra-t-il mordre? Sur les pasteurs paroissiaux? Sur les ministres et coordinateurs régionaux? Sur les services et offices cantonaux? Sur les aumôneries? Selon quels critères? Et dans quelles perspectives d’avenir?

Indépendamment des questions financières, on s’inquiète aussi d’une certaine diminution des vocations pastorales, couplée avec le fait que beaucoup de pasteurs du Canton arrivent en fin de carrière.

Enfin, l’Eglise se trouve dans – ou face à – une société dont le matérialisme, le refus du long terme et l’agnosticisme de routine lui sont profondément contraires. Comment franchir le fossé?

Le Conseil synodal a voulu répondre à l’ensemble de ces problèmes avec son «Rapport sur les dotations», présenté d’abord sous une forme «non-décisionnelle» lors des synodes de mars et de juin 2017, puis sous une forme approfondie et décisionnelle lors du dernier synode, il y a quelques jours.

Le Rapport proposait trois scénarios. Le premier, prévoyant des coupes linéaires, n’a été présenté que pour la forme. Le deuxième était une version allégée du troisième. Ce dernier, privilégié par le Conseil synodal, proposait une coupe claire dans les effectifs paroissiaux et régionaux et une augmentation des postes centraux, dans le but de disposer de forces particulières pour toucher les «distancés» et favoriser les «projets émergents».

La Commission d’examen, en désaccord avec le Rapport sur des points importants, a présenté un rapport si ample et complet que certains ont parlé d’un «contre-rapport». Elle s’en est prise au remplacement de l’organisation presbytéro-synodale par une administration non seulement centralisée, mais aussi interventionniste au niveau local, avec le risque de démotiver les laïcs engagés et de cléricaliser l’Eglise. Elle a jugé non pertinente l’opposition faite par le Conseil synodal entre l’Eglise de tradition et l’Eglise de conviction, et qui a, apparemment, orienté ses choix dans les dotations. Elle s’est interrogée, enfin, sur la volonté proclamée du Conseil synodal de «contribuer au dynamisme des paroisses» tout en réduisant fortement leur dotation. En conclusion, elle proposait un quatrième scénario, qui accordait aux paroisses et aux régions une dotation sensiblement plus importante que celle prévue par le scénario 3 du Conseil synodal, et diminuait d’autant celle des postes centraux.

Précédemment, une motion signée par 22 membres avait été déposée au synode de novembre. Elle déplorait les manques théologiques du Rapport, sa vision défaitiste de l’avenir des paroisses, et l’absence de véritable projet d’engagement, de formation et de reconnaissance des laïcs au service de la mission de l’Eglise – pourtant conforme au principe du sacerdoce universel et, aujourd’hui, nécessaire pour suppléer au manque de pasteurs. Elle soulignait le fait que, face à une société qui se décompose, les communautés inclusives que forment les paroisses sont les mieux à même de proposer des voies concrètes de recomposition, notamment par l’offre d’un accueil personnalisé, gratuit et durable.

Comme préalable à la discussion sur le Rapport, les motionnaires demandaient une réflexion théologique sur l’avenir de l’Eglise, un plan de soutien aux institutions existantes, notamment les paroisses, et une politique commune de formation et de valorisation des laïcs.

La motion ne put être traitée en novembre, faute de temps. Par gain de paix et pour éviter un encombrement, elle fut retirée avec la promesse que le Conseil synodal en tiendrait compte dans sa rédaction finale. Promesse partiellement tenue dans la partie introductive du Rapport, mais ignorée dans les scénarios de mise en œuvre. Cette incohérence fut sans doute une des causes du rejet.

Le débat d’entrée en matière a duré presque six heures. La tension, particulièrement palpable dans les deux dernières heures, n’a pas empêché la courtoisie, laquelle n’a pas empêché un score sans appel. Le Conseil synodal est chargé de rédiger un nouveau rapport «dans le sens des débats» selon la formule. Quel sens? Nous croyons qu’il faut le chercher dans les arguments avancés par les uns et les autres.

Les partisans du Rapport et de l’un ou l’autre de ses scénarios ont souligné l’apport bénéfique pour leur paroisse de tel soutien spécialisé. Quelques membres ont donné des exemples où l’aide du centre a permis la réalisation de tel «projet émergent». Des responsables dans le domaine des EMS ou des activités Terre Nouvelle ont appuyé le principe d’une cantonalisation de leurs activités, actuellement régionales, pour des motifs d’efficacité. Des tacticiens ont jugé prudent que l’Eglise puisse se présenter face à l’Etat avec un scénario accepté en bonne et due forme par le Synode. Le Conseil synodal a aussi évoqué l’anxiété que créerait une absence de décision. Sans sous-estimer la valeur de certains de ces arguments, on remarquera que tous concernent des points particuliers.

L’argumentation des opposants se situe au niveau de la conception même de l’Eglise, de son rôle et de sa mission dans le monde d’aujourd’hui et de toujours. Cette question générale est prioritaire, et ce n’est que dans un cadre ecclésiologique repensé selon l’Evangile qu’on pourra traiter correctement les problèmes particuliers évoqués plus haut.

Les opposants à l’entrée en matière, dans la ligne de la motion et du rapport de la Commission d’examen, ont critiqué une ecclésiologie excessivement sociologique, bureaucratique et centralisée – un membre du Synode a parlé d’«hydrocéphalisation» de l’Eglise. Ils ont regretté l’absence d’une vraie politique des laïcs et déploré qu’on ne traite pas distinctement les paroisses des grandes villes, en particulier Lausanne. Un opposant a fait remarquer que le fossé qui nous sépare des personnes indifférentes ou hostiles est franchi naturellement chaque jour, par chaque croyant, dans ses relations professionnelles et ses activités quotidiennes. C’est une idée à développer. Certains, comme Crêt-Bérard et ses Petites Ecoles, s’y attellent d’ores et déjà.

Plus profondément, une bonne partie du Synode s’est faite l’écho du peuple de l’Eglise, de tous les simples paroissiens et des fidèles engagés. Depuis des années, ceux-ci accumulent un sentiment d’impuissance et d’amertume. Ils ne se sentent que peu, ou pas écoutés par les autorités cantonales de notre Eglise. Ce sentiment ne concerne pas spécifiquement l’actuel Conseil synodal – même si son inutilisable questionnaire à mille questions et à choix multiples a renforcé le sentiment des paroisses de crier dans le désert –, mais une dérive qui est apparue bien avant lui, la dévalorisation persistante des paroisses locales. Or, celles-ci constituent le lieu essentiel de la pratique religieuse et la base opérationnelle de la plupart des actions concrètes de l’Eglise, qu’elles concernent sa vie interne ou sa mission vers l’extérieur.

Cette dévalorisation a peut-être commencé avec l’opération «Eglise à venir». A l’époque, le Conseil synodal envisageait de créer vingt-et-une régions, qui seraient, selon lui, les «lieux décisionnels et administratifs par excellence» de l’Eglise. Il était prévu que les paroisses transfèrent tous leurs biens, dons, legs, produit des quêtes et des fêtes, ainsi que leurs biens immobiliers, à la caisse régionale. Cela éclaire tout de même l’évolution subséquente d’une lumière assez crue.

Un conseiller synodal, membre de la Constituante vaudoise, s’était même battu pour que la nouvelle Constitution ne mentionne pas les paroisses. La Constituante, plus sage que les autorités de l’Eglise, ne l’a pas voulu. La direction anti paroissiale n’a pas fléchi pour autant. Il n’est que de voir les pressions renouvelées pour la diminution des cultes dominicaux, ou la réduction sournoise, étape par étape, de la compétence des paroisses dans le choix de leur ministre.

C’est ce mouvement de protestation venu du fond de l’Eglise qui explique probablement le mieux la netteté du vote et indique le mieux la voie à suivre. Le synode des 9 et 10 mars offre à l’Eglise l’occasion de prendre un tournant majeur.

Regrettons enfin le style profus et confus des rapports soumis au Synode, qu’il s’agisse des ministères, des dotations ou du catéchisme. Cette communication de brouillage, où tout est dans tout et part dans tous les sens, engendre la lassitude et la méfiance. Et, à titre personnel, je serais enchanté qu’on arrête de ressasser comme un mantra que «l’Eglise est au milieu du virage». Ce médiocre jeu de mots introduit dans toute l’affaire une frivolité dont on se passerait.

L’importance du refus d’entrée en matière, la force et l’ampleur de l’argumentation des opposants interdisent au Conseil synodal de chercher à rafistoler son projet en comptant sur la lassitude du Synode pour faire passer une version adoucie du Rapport. Il doit changer radicalement de posture. Le fera-t-il?

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