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L’UDC comme entreprise de démolition

Jean-François Cavin
La Nation n° 2092 16 mars 2018

Il y a quelques semaines, l’Union démocratique du centre – par la voix, en conférence de presse, de deux de ses éminences, Mme Magdalena Martullo-Blocher et M. Thomas Aeschi – a lancé une véritable déclaration de guerre aux «mesures d’accompagnement» de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, ainsi que contre les syndicats eux-mêmes. Au pilori, les mesures d’accompagnement, qui protègent nos salariés contre la sous-enchère de leurs voisins! Au banc des accusés, les syndicats, garants dans l’ensemble de la paix du travail, ce trésor helvétique! Quelle mouche a donc piqué le parti que l’on dit nationaliste?

Il n’y a pas été avec le dos de la cuillère. Les «mesures d’accompagnement» auraient enfermé le marché du travail, naguère paradisiaquement libéral, dans un carcan de contrôles étatiques et de contraintes découlant des conventions collectives de travail (CCT). Quant aux syndicats, principaux fauteurs de ces mesures, ils en tireraient parti comme «pompe à fric» grâce aux sommes perçues (des dizaines de millions!) pour en surveiller l’application, sans jouer aucun rôle utile, avec la complicité d’ailleurs des organisations patronales que l’UDC n’épargne pas (et M. Rime, président de l’USAM, participait à cette conférence de presse en parlant de fiscalité; il n’a pas quitté la salle…).

Ces accusations sont soit fausses, soit exagérées. Il est faux de faire remonter à la libre circulation des personnes l’essentiel du tissu conventionnel et de décrire les temps antérieurs comme ceux d’un marché du travail libéral ne dépendant que du libre accord de l’employeur et de l’employé. Sans compter les lois, les principales CCT existaient déjà depuis longtemps, heureusement, ainsi d’ailleurs que les «contributions de solidarité» cimentant le partenariat social. Il est excessif en outre de ne voir dans celles-ci qu’une source de revenus confortables pour les syndicats, voire les associations patronales, car ces sommes sont non seulement dévolues à la surveillance de l’application des CCT, mais aussi à l’organisation et à l’offre d’importants programmes de formation et de perfectionnement professionnels.

Quant aux «mesures d’accompagnement», il est très exagéré d’y voir un assujettissement des relations du travail aux prescriptions administratives étatiques. Elles restent très ciblées et sont loin de mécontenter les patrons traitant normalement leur personnel. Rappelons qu’elles portent seulement sur ces quelques points:

–  la surveillance des conditions de travail principales (salaire, temps de travail) des «travailleurs détachés», actifs en Suisse momentanément pour un employeur étranger;

–  la vérification du statut d’indépendant des étrangers qui se déclarent tels (le risque d’abus est grand);

–  en cas de sous-enchère abusive (c’est-à-dire importante et répétée) dans un secteur, l’encadrement renforcé des conditions de travail principales (rémunération et temps de travail) grâce à la force obligatoire conférée à une CCT ou par la promulgation d’un contrat-type de travail imposé par l’autorité.

La mise en œuvre de ces dispositions fait l’objet de contrôles organisés par l’Etat ou par les partenaires sociaux; ces contrôles n’ont pas permis d’observer des abus systématiques.

Ces normes protectrices étaient indispensables pour faire accepter l’idée de la libre circulation. Mais, bien plus, elles expriment une forte ambition: celle d’une ouverture qui ne doit pas se solder par un alignement de notre économie vers le bas, mais maintenir un niveau d’excellence qui justifie sa cherté. Beau projet, non? Et la patriotique UDC n’en veut pas…

Pour tenter de comprendre cette attitude paradoxale, on peut formuler deux hypothèses. La première serait que c’est l’expression d’une position politique générale elle-même non exempte de contradictions: libéralisme à l’intérieur (avec toutes ses insuffisances), protectionnisme à l’égard de l’étranger (du moins pour les migrations et l’agriculture, la chimie pas forcément…); sens de l’appartenance communautaire envers la patrie  suisse, mais pas à l’égard des communautés naturelles qui structurent le pays; en d’autres termes, oui aux sociétés de tir et aux clubs de lutteurs, mais non aux syndicats de salariés ou de patrons. Nous avons vraiment de la peine à goûter cette vision de la politique.

La seconde hypothèse est plus tactique. Les «mesures d’accompagnement», mal vues à Bruxelles, pourraient être condamnées par la Cour de Justice européenne si le fameux accord institutionnel en gestation lui en donnait la compétence; les syndicats ont d’ores et déjà fait savoir qu’il n’en était pas question, sous peine qu’ils s’opposent frontalement à cet accord; le Conseil fédéral semble avoir entendu le message, M. Cassis indiquant que le maintien des «mesures d’accompagnement» constituait une ligne rouge à ne pas franchir. Un argument de poids échappant ainsi aux adversaires de l’accord institutionnel, il importe désormais à l’UDC de flétrir les «mesures d’accompagnement» et ses suppôts syndicaux pour bien montrer que la proximité de l’UE nous  conduit au déclin économique. C’est la politique du pire.

Quelle que soit l’hypothèse retenue – et peut-être les deux se combinent-elles – cela ne justifie pas de prôner le démantèlement du partenariat social.

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