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Si le soleil ne revenait pas - Un antidote à la grisaille de l’époque

David Rouzeau
La Nation n° 2092 16 mars 2018

Les artistes les plus importants sont tout de même ceux qui proposent un monde positif et qui défendent la vie. Chacun, certes, sera touché par les œuvres qui entrent en résonance avec sa propre vie, et c’est pour cela qu’il y a une dimension subjective dans l’appréciation de l’art. Cependant, on peut tout de même caractériser les auteurs et leurs œuvres au regard de la vision du monde qu’ils revendiquent et défendent. Ceux qui aiment la vie et y trouvent un sens tout en la sachant fragile et menacée, seront ainsi certainement touchés par l’œuvre de Ramuz. C’est notre cas.

Si le soleil ne revenait pas est un roman de lumière, qui défend la vie au milieu des périls du temps et du monde. Je ne vais pas ici établir une analyse scolaire ou académique, mais plutôt chercher à en dire le fond essentiel.

Dès le début, le narrateur ramuzien maintient l’œil du lecteur dans une épaisse et obscure grisaille, où l’on peine à voir, dans une atmosphère pesante qui diffuse le venin du pessimisme parmi les villageois. Cette lecture est une épreuve pour le lecteur, également plongé dans cette demi-obscurité durant presque tout le récit. Pour lui aussi, le soleil a disparu et ne reviendra peut-être pas.

Ramuz met à l’épreuve ses personnages face à la peur que tout s’arrête. Certains se résigneront, choisiront de croire en la funeste prédiction, se soumettront. Ce sont des personnes mûres, des vieux, ou des jeunes qui sont déjà vieux. D’autres, au contraire, garderont une force de vie en eux qui ne sera pas éteinte par les évidences environnantes.

Ramuz aurait presque pu imaginer un personnage âgé qui aurait été du côté des vivants, voire des grands vivants du roman – car il en est –, mais il a préféré conférer la magistrale mission d’incarner la vie à une jeune femme qui allie deux forces, la jeunesse et la féminité. Isabelle sera donc le grand personnage représentant la puissance de vivre, la Grande Vivante du récit. Son rire éclate à travers le temps, couvert depuis trop longtemps. Sa beauté, la couleur de sa peau, son rayonnement s’imposent de manière à la fois naturelle et supérieure. «Elle faisait soleil dans la glace. Elle faisait dans la glace une belle couleur qui était renvoyée sur elle et autour d’elle: c’était celle de l’abricot, c’était celle du muscat tout à la fin de la saison.» C’est Isabelle qui sera devant et au-dessus pour aller chercher le soleil. Sur ce point essentiel, le roman de Ramuz est très moderne. Le personnage le plus puissant, le plus énergique, le personnage dominant, si l’on veut utiliser cette épithète, est Isabelle. Le véritable chef du village est cette jeune femme, ses pouvoirs existentiels et spirituels lui étant conférés par la vie, laquelle passe puissamment à travers elle. Par analogie et identification, le lecteur sera appelé par le récit à faire de même, en lui.

Cette signification fondamentale du texte échappe à la critique universitaire qui n’ose pas aller sur ce terrain de l’essentiel. La lecture de la notice de La Pléiade est symptomatique. Elle est certainement en partie éclairante et brillamment écrite. Son utilisation de certains concepts anthropologiques peut apporter quelque éclairage, toutefois l’analyse laisse un goût d’inachevé et au fond une certaine superficialité vis-à-vis de l’essentiel.

On est frappé de voir la force de vie qu’il y a dans l’œuvre de Ramuz et dans ce roman en particulier. On en est d’autant plus frappé que la plupart des films, des séries, des romans et autres objets symboliques auxquels nous relions notre âme, en notre époque, sont dans le meilleur des cas intéressants, parfois – quand on a de la chance – partiellement forts; mais ne sont-ils pas souvent médiocres, vides, car au fond commerciaux et produits sans engagements essentiels?

A quoi bon se consacrer à lire des ouvrages de qualité moyenne, à quoi bon se divertir dans le sens négatif que Pascal donnait à ce mot? A quoi bon? Sinon à perdre notre temps et à nous perdre en même temps… Il faut retourner aux grands artistes qui ont dit la vie comme elle est, comme elle peut être. La lecture de leurs œuvres est vraiment bouleversante et nourricière.

L’œuvre de Ramuz est là, à portée de main. Quelle chance de l’avoir si proche de nous, nous, Vaudois, en particulier! Il faut dès lors se saisir d’un de ses romans et, par le miracle de la lecture, l’amener en soi, et qu’en soi le texte produise ses effets régénérateurs. Cette œuvre éclairera, soutiendra, stimulera, encouragera nos contemporains, et notamment tant de jeunes à qui une telle nourriture manque cruellement. Elle leur donnera des bases solides pour faire en sorte que le monde continue à tenir en place et que la vie puisse s’y déployer le mieux possible.

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