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Les religions doivent-elles s’unir face à la laïcité?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2098 8 juin 2018

On pourrait dire que la religion a pour rôle de faire connaître ce que le créateur de l’univers veut que nous sachions de lui, et de nous relier à lui selon les règles qu’il a instituées. A cette relation, qu’on qualifie souvent de «verticale», la société moderne substitue progressivement une relation «horizontale», une communion toute terrestre, celle des «valeurs» de la modernité, des «droits humains» et de la laïcité – en fait trois manières de dire la même chose.

Sans être une religion au sens strict – elle ne renvoie pas à un dieu distinct du monde, la laïcité n’en investit pas moins le terrain religieux. Non seulement elle fixe les limites de la pratique publique, mais elle s’immisce, par osmose idéologique, dans le discours de l’Eglise elle-même.

Sur ce point, il faut bien constater que l’Eglise est étonnamment perméable. On voit, jusque tout en haut de la hiérarchie, des ecclésiastiques se référer sans réserve à la Déclaration des droits de l’homme, voire la prêcher. Certains le font en espérant récupérer et christianiser le discours dominant, sans prendre garde au risque qu’ils courent d’être récupérés eux-mêmes. D’autres se plient probablement par simple conformisme intellectuel ou esprit de soumission aux puissants de ce monde.

Protégés par une structure rituelle intransigeante, le judaïsme et l’islam semblent mieux résister. Mais eux aussi sentent la menace de ce mouvement planétaire de sécularisation.

Ces trois religions ont donc un ennemi commun. Cela ne les oblige-t-il pas à faire cause commune? Ne partagent-elles pas le devoir sacré de préserver le lieu propre de leurs affrontements séculaires, ce domaine spirituel que la modernité tend à réduire à de simples pratiques sociales, cette transcendance qui désigne une réalité échappant au pouvoir des hommes et le relativisant?

Question légitime. Les alliances les plus inattendues sont possibles et parfois efficaces. On a vu des historiens vaudois de toutes tendances s’allier pour défendre la place de l’enseignement de l’histoire dans l’école obligatoire. Il y a quelques années, tous les journaux d’opinion vaudois et romands – de Gauchebdo à La Nation – plaidaient d’une seule voix face à la Poste en faveur de la réduction des prix de port. Voyez encore la composition inattendue du comité soutenant la pétition «Sauvez Chasseron – Creux-du-Van» (qu’on vous prie de signer et de faire signer) qui compte notamment MM. Michel Bühler, Philippe Roch et Jean-François Cavin!

Pourquoi les religions ne feraient-elles pas de même? Pourquoi ne s’allieraient-elles pas pour défendre la réalité d’une transcendance par trop négligée, voire niée par la modernité?

La difficulté est que si la notion de transcendance constitue leur plus grande similitude, la forme concrète que chacune lui donne est en même temps la source et le centre de leur plus profonde incompatibilité.

La transcendance n’a de sens, n’existe même, qu’en tant qu’elle est habitée. Quel serait l’intérêt pour ces religions de trouver un accord sur une transcendance dont on aurait méthodiquement extirpé tout ce qui en faisait la raison d’être? Et, pour en revenir au but de l’alliance, en quoi cette transcendance sans contenu serait-elle de nature à contrecarrer l’action corrosive de la laïcité?

Sur le fond, alliance ou pas, la lutte religieuse continue d’opposer le christianisme et l’islam. C’est un peu moins le cas du judaïsme, qui n’est ni missionnaire comme le christianisme, ni conquérant comme l’islam.

Et c’est le christianisme qui a le plus à perdre dans une alliance interreligieuse. Nous le disons d’abord à cause de l’incarnation. L’Eglise serait appelée à faire l’impasse sur l’irruption de Dieu dans l’histoire humaine, sur la double nature du Christ, vrai homme et vrai Dieu, sur sa mort et sa résurrection, sur son retour à la fin des temps. Et tout ça sous le prétexte de défendre la spiritualité. Cela n’a pas de sens.

De plus, sa participation à une alliance interreligieuse donnerait à la religion islamique une importance disproportionnée par rapport à son enracinement effectif dans notre pays et notre civilisation.

Enfin, on peut craindre qu’une telle alliance ne bloque tout débat, la moindre allusion critique d’une religion à propos d’une autre risquant d’ébranler la fragile construction. Ainsi, quand le «Conseil suisse des religions», créé en 2006 pour maintenir la paix entre les religions, dénonça, comme tout le monde,  l’attentat contre Charlie-Hebdo, son communiqué ne mentionnait même pas qu’il s’agissait d’un attentat djihadiste. Il aurait pu le faire en contestant la légitimité de cet acte du point de vue du Coran. Cela même était de trop. Quand les croyants mettent la  foi de côté pour parler de questions religieuses, leur courage et leur intelligence s’enfuient.

Ce que nous disons n’exclut nullement que les pratiquants des trois religions puissent coexister, se parler, s’entendre et s’entraider sur quantité de questions. De même, leurs théologiens peuvent tout à fait débattre courtoisement. Ils le doivent, même, pour autant qu’ils n’abandonnent ou ne dissimulent jamais ce qu’ils croient.

En fait, le problème se poserait surtout avec l'institutionnalisation de l’alliance. Le comité directeur deviendrait peu à peu un organe faîtier coiffant les religions particulières de son universalité vide. Au même rythme, l’alliance interreligieuse s’aplatirait, s’«horizontaliserait». Conçue contre la modernité laïque, elle en deviendrait une parfaite illustration.

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