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Le ticket

Jean-François Cavin
La Nation n° 2107 12 octobre 2018

C’est devenu une habitude, lors d’une vacance au Conseil fédéral, que le parti et le groupe du sortant proposent en remplacement non pas un candidat, mais deux ou trois. On appelle cela un «ticket», on ne sait trop pourquoi. Il ne permet pas de monter dans un bus ni ne témoigne d’un paiement à la caisse d’un magasin. En matière électorale, aux Etats-Unis d’Amérique, le ticket proposé aux grands électeurs est celui des candidats à la présidence et à la vice-présidence, élus en inséparable duo. Tandis que, pour le Conseil fédéral, un seul prétendant trouvera le chemin du fauteuil convoité.

La mode est assez récente. Autrefois, les groupes parlementaires en espérance d’élection se mettaient d’accord sur un nom, du moins en apparence. L’Assemblée fédérale votait ensuite à sa guise. Elle ne se privait pas de choisir quelqu’un d’autre que le candidat officiel. La journée du 6 décembre 1973 est entrée dans l’histoire: trois sièges à repourvoir et trois élus autres que les candidats officiels, Hürlimann contre Franzoni, Ritschard contre Schmid et Chevallaz contre Schmitt. Il y eut bien d’autre cas: Stich contre Mme Uchtenhagen, Matthey (qui caponna et laissa la place à Mme Dreyfuss) contre Mme Brunner, Samuel Schmid contre le ticket UDC Fuhrer-Eberle, sans parler de la traîtresse Widmer-Schlumpf contre Blocher. Et l’on en passe.

Est-ce pour limiter le risque d’un désaveu que les partis tendent à présenter plusieurs personnes? Peut-être, bien que le procédé ne permette pas d’exclure absolument les surprises; mais il faut reconnaître qu’il favorise une élection sans histoire. On peut regretter, d’ailleurs, le temps des coups de théâtre à l’Assemblée fédérale, qui donnait un peu de sel à la politique; le temps de la nuit des longs couteaux dans les arrière-salles de Berne, du rassemblement matinal des parlementaires – d’où tout pouvait sortir – dans l’aube grise de décembre enveloppant la ville fédérale, du «suspense» à l’idée qu’un outsider pourrait sortir du lot.

Au-delà du pittoresque, la méthode du «ticket» restreint en fait la liberté de choix de l’Assemblée fédérale; face à un seul nom, elle a les coudées franches; face à une liste, elle risque de créer le scandale en cherchant encore ailleurs. En outre, le «ticket» tend à déresponsabiliser les partis et les groupes. S’ils avancent les noms de tous les papables, à quoi bon leur proposition? Et cela leur évite de se positionner sur leur préférence quant à l’orientation politique, à l’appartenance cantonale, voire au sexe des candidats; toutes questions non sans importance qu’on renonce soigneusement à traiter en présentant de tout un peu. Adieu le courage politique!

Il arrive même que ce procédé devenu quasi obligatoire conduise à des quêtes ridicules. Le PLR, cet automne, a entamé avec peine la recherche d’un ou deux volontaires pour entrer en compétition avec Mme Keller-Suter, qu’on dit pourtant parée de toutes les qualités pour briguer le poste que quitte M. Schneider-Amman. Et elle est même du genre féminin…

La pratique paradoxale de la proposition qui n’en est pas une, à la réflexion, pourrait complaire aux parlementaires et aux notables des partis. Car, même si leurs chances sont petites, voire minimes, voire nulles, l’occasion de figurer sur le «ticket» leur permet de faire un tour de piste sur l’arène politico-médiatique. Le surcroît de notoriété qu’ils en tirent leur permettra peut-être un jour, sinon de viser à nouveau l’exécutif, du moins de jouer placé pour obtenir quelque prébende. On pense alors à la course aux Oscars et aux Césars du grand écran: même s’ils ne gagnent aucun prix, les «nominés» font parler d’eux. Comme au cinéma fédéral.

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