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Mauvais angle d’attaque

Jacques Perrin
La Nation n° 2107 12 octobre 2018

Lors d’une randonnée dans l’Oberland bernois, nous ne rencontrons presque personne au-dessus de 2000 mètres. Si un sommet est accessible en téléphérique, nous sommes immergés dans le tourisme de masse. Tandis que nos compatriotes se rendent au Brésil ou en Thaïlande, Chinois, Coréens, Japonais et Arabes transitent d’un aéroport à l’autre, passent une demi-journée à Lucerne, une deuxième à Montreux et une dernière à Genève avant de s’envoler pour Londres.

A Interlaken et Grindelwald, nous apercevons quelques dames en niqab. Ce sont des touristes, elles rentreront vite chez elles. Leur présence nous gêne moins que celle des foules moyen- et extrême-orientales qui se pressent sur le Schilthorn pour voir le show James Bond et se gaver sans grâce de mets internationaux. Seules les frêles Japonaises conservent une certaine élégance.

Quelques précisions s’imposent ici: le hidjab voile la tête, les cheveux et la gorge, laissant le visage apparaître; le tchador est un vêtement iranien qui couvre le corps à l’exception du visage; le niqab dissimule entièrement la femme, il est porté parfois avec des gants et des lunettes à soleil, mais laisse le regard libre. La burqa, imposée en Afghanistan par les talibans, comporte un voile ou un grillage de tissu devant les yeux. Durant nos pérégrinations oberlandaises, nous n’avons aperçu aucune burqa, seulement des niqabs et des hidjabs.

Le 23 septembre, les Saint-Gallois ont accepté à 66% des voix une loi interdisant de dissimuler son visage en public si cette dissimulation est de nature à menacer la sécurité ou la paix religieuse, qui vise les hooligans, les black blocks et les femmes vêtues de burqas et niqabs. Une telle loi a été acceptée au Tessin en 2013 et refusée à Glaris en 2017. Le peuple suisse se prononcera probablement en 2020 sur une initiative portant sur le même sujet, qui a recueilli 106 600 signatures. Le Conseil fédéral mise sur un contre-projet indirect d’inspiration féministe. Nul n’aurait le droit de forcer une femme à porter niqab ou burqa.

Après l’acceptation des Saint-Gallois, le président de l’UDC locale Walter Gartmann a parlé d’un «signal fort» prouvant que la population «n’accepte pas tout, ne se couche pas et qu’elle défend ses valeurs et ses traditions».

Sur la RTS, nous avons entendu un débat opposant le conseiller aux Etats appenzellois (AR) Andrea Caroni et le conseiller d’Etat tessinois de la Lega, Norman Gobbi. L’Appenzellois votera non à l’initiative fédérale. Fédéraliste impeccable (sur ce point du moins), il ne s’en prend ni aux Saint-Gallois ni aux Tessinois. Les affaires de religion et de sécurité publique relèvent de la compétence cantonale. D’autre art, il considère que le port de la burqa est un «problème fantôme» et que les lois qui s’y opposent sont des placebos superflus.

Le Tessinois Gobbi ne parle pas en faveur de l’initiative. Il se contente de relater les expériences faites au Tessin. Depuis 2016, 37 amendes ont été infligées à des hooligans. Les milieux touristiques ont informé leurs clients moyen-orientaux de l’interdiction et il semble que cette information ait suffi à dissuader les touristes de porter en public les vêtements mis en cause. L’unique contrevenante est Nora Illi, une Suissesse convertie à l’Islam, qui porte la burqa un peu partout par provocation et dont les amendes sont payées par un homme d’affaire algérien spécialisé dans ce genre d’action.

Les partisans de l’initiative n’ont pas que de mauvaises raisons: ils s’inquiètent de la montée de l’islam en Suisse, veulent prévenir les troubles avant d’avoir à les guérir, s’engager pour la dignité de la femme et lutter plus sévèrement contre les hooligans masqués et les antifascistes cagoulés.

Ces bonnes intentions justifient-elles une violation de deux compétences cantonales importantes? Nous ne le pensons pas. Des lois existent déjà, destinées à réprimer les violences dans les rues. Il faut vouloir les appliquer. Seules les touristes portent des burqas ou des niqabs. Il y a des provocatrices, bien sûr. Dans le quartier du Flon, nous avons vu une gamine en jean et baskets portant un semblant de burqa, cherchant manifestement à être interpellée, voire insultée. Faut-il une loi pour redresser des personnes qui n’attendent qu’une punition pour alimenter leur haine adolescente? La réponse est-elle donnée à un juste niveau? Les partisans de l’initiative parlent d’un problème de civilisation. Lutte-t-on contre les symptômes d’un problème de civilisation par de nouvelles lois centralisatrices et un empilement de «signaux forts» dans la Constitution? Est-ce cela la tradition helvétique?

L’influence de l’islam provient de nos faiblesses morale, religieuse, éducative et démographique. Il est plus difficile de s’attaquer quotidiennement à ces maux dans chaque canton que de fabriquer des lois inutiles.

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