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Quousque tandem?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2121 26 avril 2019

On devait s’y attendre. Après les manifestations plus ou moins bon enfant de jeunes gens qui courbaient les cours impunément pour sauver la planète, des actions illégales apparaissent. Le mouvement Extinction Rebellion, des activistes qui prônent la «désobéissance civile» pour forcer les autorités à agir d’urgence contre le réchauffement climatique, ont bloqué le pont Chauderon lundi 15 avril par un «p’tit déj’ de la révolte», puis le Grand-Pont, le jour de Jeudi-Saint, par un «pique-nique festif». La police a laissé faire, se bornant à identifier certains participants en vue de poursuites pénales (chic alors! peuvent penser les activistes: on préparera un «apéro libératoire» au tribunal).

Les organisateurs sont des spécialistes de l’agitation, agissant à visage découvert. L’un d’eux explique que les initiateurs de ce mouvement international, né à Londres fin 2018 avant de gagner la France et la Suisse, sont des universitaires auteurs de thèses sur la désobéissance civile (on serait étonné qu’ils adoptent la doctrine restrictive de saint Thomas et décrivent les méfaits essentiels du désordre); une réflexion systématique serait menée sur l’urgence d’agir; la nécessité d’actions «disruptives» fait l’objet d’une théorie; les risques juridiques de l’action illégale sont soigneusement pesés; l’instruction des manifestants n’est pas oubliée, puisque des «ateliers de formation à la désobéissance civile non-violente» sont organisés, tous les week-ends en France, bientôt à Neuchâtel.

Les rebelles se proclament non-violents. C’est jouer sur les mots. S’ils n’appellent pas à la castagne ou aux déprédations (en attendant que de vrais casseurs, peut-être, s’engouffrent dans la brèche), il n’en reste pas moins que des manifestations non autorisées violent la loi et prennent en otage les autres citoyens en leur bloquant le passage.

Leur cause n’est pas bonne. Les pouvoirs publics doivent agir «tout de suite»? Ils n’ont pas attendu l’émergence de ce mouvement, dans plusieurs pays dont la Suisse (et même en Chine!), pour lancer des programmes de lutte contre le CO2; l’industrie, chez nous, s’y emploie avec succès; l’isolation des bâtiments progresse. Que veulent-ils au juste, ces adeptes immatures de l’action coup de poing? L’interdiction de circuler au pétrole, paralysant les activités humaines? La destruction massive des maisons énergivores, mettant un tiers de la population sur le pavé? Un coup de baguette magique? La mort des cent multinationales coupables à leur avis de l’essentiel de la pollution? Leur manifeste reste vague et peu réaliste. Il est facile de s’asseoir sur le macadam; il est plus difficile de gouverner sagement.

La liberté de manifestation, octroyée au centre-ville ou sur des rues passantes, contredit la liberté de mouvement des habitants dans l’espace public. Elle empêche le malade d’aller chez son médecin (et le droit à la santé, alors?), les employés de gagner leur vie au bureau ou à l’atelier (et le droit au travail?). Elle n’est pas un droit de l’homme aussi fondamental que l’habeas corpus, la liberté d’expression, la liberté du culte. Elle n’est d’ailleurs pas un droit de la personne, mais un droit de la meute. Si les constitutions la reconnaissent, ce qui est discutable, il est légitime d’en subordonner l’exercice à de strictes conditions, notamment en cantonnant les manifestants en des lieux où ils ne dérangent pas la population active.

Revenons au blocage des ponts lausannois. Les responsables de la police ont tenté de justifier sa passivité par l’observation du principe de proportionnalité. C’est un raisonnement biaisé; si une manifestation interdite est tolérée, il n’y a plus d’interdiction qui tienne. Et cela fait le bonheur des trublions, qui entendaient placer la police devant un dilemne: soit elle intervient et les pique-niqueurs mordillent leurs vivres tout gentiment devant les agents, ce qui leur vaut de la sympathie; soit la police n’intervient pas, et le pont devient une plateforme rêvée pour leur message salvateur. A nos yeux, il n’y a pas de place pour un dilemne. Une manifestation interdite doit être dispersée. Les forces de l’ordre peuvent faire décamper les rebelles en les arrosant copieusement, les personnes et leurs sandwiches. A l’heure du réchauffement climatique, rien de tel qu’une douche froide.

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