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Le traité de Burier (1219)

Michel Calame
La Nation n° 2127 19 juillet 2019

Burier: sa halte CFF de plus en plus fréquentée, son gymnase avec bientôt deux mille étudiants, son camping-plage, son ancienne maladaire (léproserie) et son traité de paix dont on pourrait commémorer cet été le 800e anniversaire.

Il y a un siècle, l’historien vaudois Charles Gilliard (1879 – 1944) avait déjà rédigé Le Traité de Burier (1219), un article avec la traduction de l’original latin, publié dans le bulletin n°7 (juillet 1919) de l’Association du Vieux Moudon. Nous nous en sommes inspirés en partie pour la rédaction de cet article, avec le même titre, un siècle plus tard.

Le 3 juillet 1219 eut lieu au prieuré bénédictin de Burier la signature d’un traité de paix, entre l’évêque de Lausanne et le comte de Savoie, mettant fin à un conflit larvé de plus de vingt ans, en la présence notamment de l’abbé de Saint-Maurice, le prévôt de Lausanne Conon d’Estavayer (célèbre pour son Cartulaire), d’importants membres de la noblesse vaudoise (les sires d’Aubonne, de Blonay, d’Estavayer, de Grandson, d’Oron, …) et le comte de Gruyère.

Avant d’aller plus loin, il nous semble nécessaire d’en poser le cadre, en présentant brièvement le lieu de la signature de ce traité, ainsi que les deux parties en présence.

Le prieuré de Burier : un prieuré est un (petit) monastère subordonné à une abbaye plus importante. Celui de Burier, mentionné pour la première fois en 1163, dépendait de l’abbaye de Saint-Michel de la Cluse (Piémont, Italie du Nord) et fonctionna comme tel jusqu’en 1536, date de l’arrivée des Bernois qui, réformés depuis 1528, supprimèrent le prieuré. Après quelques aménagements, le bâtiment fut transformé en maladaire, en remplacement de celle, en ruines, localisée sur le site actuel du gymnase de Burier. L’historien vaudois Eugène Mottaz (1862 – 1951) rédigea en 1931 Burier et sa maladière (article aisément téléchargeable), relatant la fin de vie de la dernière lépreuse à Burier, morte en avril 1649. Dès lors, il n’y eut plus de lépreux et l’ancien prieuré tomba définitivement en ruines. Ses derniers vestiges firent place en 1820 à une maison vigneronne qui fut à son tour en 1912 supplantée par la Villa Karma, bien visible du lac, située juste à côté du camping de la Maladaire et de l’arrêt de bus du même nom. Le mot sanskrit karma «somme de ce qu’un individu a fait, est en train de faire ou fera» n’évoque-t-il pas les multiples métamorphoses de ce lieu?

L’évêque de Lausanne : depuis le VIe siècle se succèdent les évêques de Lausanne par nomination du pape. Au Moyen Age, un évêque exerçait d’une part son pouvoir spirituel comme prince de l’Eglise à la tête d’un diocèse, d’autre part son pouvoir temporel (droits seigneuriaux) sur l’évêché. L’évêque de Lausanne était ainsi à la tête d’un diocèse englobant plus ou moins les cantons de Vaud, Neuchâtel, Fribourg et Soleure actuels; par contre son évêché comprenait à peine la région lausannoise, Lavaux, quelques possessions dans la Broye et Bulle. L’évêque de Lausanne était donc à la fois un chef spirituel de l’Eglise catholique romaine et un seigneur féodal, au pouvoir limité remontant à 1011, année durant laquelle le roi de Bourgogne transjurane avait fait donation du comté de Vaud à l’évêque de Lausanne, droits plus théoriques qu’effectifs.

Le comte de Savoie : les origines de la maison de Savoie se perdent autour de l’an 1000. La dynastie connaîtra une ascension fulgurante: comte de Savoie (1143), duc de Savoie (1416), roi de Sardaigne (1720) et d’Italie (1861), jusqu’à la suppression de la monarchie en Italie en 1946. Thomas Ier de Savoie (1178 – 1233), régnant à partir de 1191 à sa majorité (à 13 ans!), étend l’influence de la Savoie au nord du Léman. Développé par lui, puis par ses fils, le Pays de Vaud (ne correspondant que partiellement au canton de Vaud actuel) sera peu à peu intégré à la Savoie durant le XIIIe siècle. En 1536, les Bernois et les Fribourgeois envahissent le Pays de Vaud savoyard: les possessions romandes de Berne deviendront le canton de Vaud en 1803.

Dès 1011, l’autorité de l’évêque de Lausanne s’étendait sur Moudon, du moins en théorie, car de fait les comtes de Genève, puis les ducs de Zähringen (connus pour avoir fondé plusieurs villes, dont Fribourg en 1157 et Berne en 1191) y détiennent le pouvoir effectif. En outre, le 1er juillet 1207, le roi de Germanie Philippe Ier, de passage à Bâle, s’arroge le droit de donner en fief le château de Moudon à son cousin Thomas Ier de Savoie, en guise de récompense pour son appui dans sa lutte contre le pape. Cette donation illégitime engendra un état de guerre entre le comte de Savoie et l’évêque de Lausanne qui ne voulait pas se laisser, une fois de plus, déposséder de ses droits. Mais après plus de vingt ans de conflit, conscient qu’il ne pourrait l’emporter face à la puissance montante de la Savoie, l’évêque se décida à traiter avec le comte, d’autant plus que la dynastie des Zähringen avait disparu une année plus tôt, faute d’héritier mâle.

Grâce au traité de Burier, la paix revint. Mais à quel prix?

Les conditions de paix sont très favorables au comte de Savoie Thomas Ier, qui obtient de l’évêque de Lausanne que celui-ci ne conteste plus ses droits sur Moudon, en échange de sa vassalité pour la forme et d’un dédommagement unique de 100 livres (environ 20’000 francs suisses selon Gilliard en 1919, soit quelque 100’000 francs suisses un siècle plus tard). Ainsi, il sut transformer la donation semi-légitime de 1207 en traité en bonne et due forme avec l’évêque de Lausanne, qui n’avait de toute façon guère la possibilité de s’y opposer. Le traité de Burier est pour la Savoie un véritable tremplin pour s’emparer du Pays de Vaud, chose que les successeurs de Thomas Ier feront tout au long du XIIIe siècle, plus par la diplomatie que par la guerre. Les comtes de Savoie et les évêques de Lausanne devinrent progressivement des alliés et en 1536 lorsque le Pays de Vaud fut perdu pour la Savoie, l’évêque de Lausanne trouva refuge au sud du Léman.

Les années passèrent et le traité de Burier sombra dans l’oubli. Ainsi, si les chaleurs de cet été devaient nous mener à la plage de la Maladaire, ne manquons pas de jeter un petit coup d’œil sur la villa Karma, en pensant aux moines du prieuré et aux lépreux de la maladaire qui leur ont succédé, en guise de commémoration du 800e anniversaire du traité de Burier.

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