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Le Ministère public de la Confédération, le fond du problème

Olivier Klunge
La Nation n° 2127 19 juillet 2019

Les soucis du Procureur général de la Confédération, M. Michael Lauber, ne diminuent pas puisque le Tribunal pénal fédéral a jugé, le 17 juin dernier, qu’il devait se récuser dans l’enquête sur la corruption dans le football mondial, car ses rencontres avec Gianni Infantino étaient contraires aux règles de procédure. En réaction, le chef du Ministère public de la Confédération (MPC) a déposé une demande de récusation contre le président de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral et décidé de se faire entourer d’avocats dans l’enquête disciplinaire menée à son encontre par l’Autorité de surveillance du MPC.

Les problèmes du Procureur général ne sont cependant pas uniquement une question personnelle. Comme nous l’évoquions dans La Nation n° 2123 du 24 mai 2019, d’autres membres de cette autorité sont aussi sur la sellette.

D’ailleurs, ces affaires ne sont pas non plus une exception historique: le prédécesseur de Michael Lauber, Erwin Beyeler, n’avait pas été réélu en 2011 au bout d’un premier mandat de quatre ans, une majorité de l’Assemblée fédérale l’estimant incompétent. Il avait lui-même succédé à Valentin Roschacher, poussé à la démission en 2006 des suites du scandale Ramos qui avait révélé les largesses du MPC à un ancien trafiquant de drogue pour tenter de monter un dossier contre le banquier Hollenweger, acquitté par la suite.

M. Roschacher avait lui-même succédé en 1999 à la flamboyante Carla Del Ponte, partie au Tribunal Pénal International de La Haye, après avoir ouvert, généralement avec force communiqués de presse, séquestres de fonds et mises en détention préventive, de nombreuses affaires qui se sont soldées après des années de procédure par des acquittements, des non-lieux ou des condamnations pour des infractions bénignes.

Parallèlement à ces déboires des procureurs généraux, le législateur a enchaîné les réformes pour tenter d’améliorer le fonctionnement du MPC et d’en garantir l’indépendance, avec le succès que l’on observe aujourd’hui.

Le conseiller aux Etats socialiste de Zurich et professeur de droit pénal Daniel Jositsch en tire la conséquence1 que le MPC est superflu et qu’il n’y a «aucune raison pour qu’un ministère public cantonal ne puisse s’en charger». En effet, le MPC est compétent en matière de lutte contre le terrorisme, les organisations criminelles et la criminalité économique, ainsi que de certains aspects de l’entraide pénale internationale. Or, aussi prestigieux que ces domaines puissent paraître, la pratique montre qu’il est souvent difficile de déterminer, en particulier au seuil de l’instruction, si une affaire relève d’une importante organisation mafieuse ou d’un groupe local jouant au Parrain, ou si des fraudes informatiques signalées par des entreprises sont autant de larcins isolés ou les indices d’une vaste campagne d’espionnage économique.

En cas de délit commis à plusieurs endroits, les autorités pénales (que ce soit entre cantons ou sur le plan international) doivent s’accorder sur l’autorité qui conduira l’instruction, éventuellement avec l’appui des autres. L’existence du MPC ne fait dès lors que compliquer la poursuite pénale. En cas d’infraction informatique similaire subie par deux entreprises genevoise et vaudoise, il faudra non seulement déterminer quel ministère public cantonal se saisira du dossier, mais encore si le MPC revendiquera sa compétence, faisant parfois perdre un temps précieux en allers-retours procéduraux.

D’ailleurs, le MPC n’a pas de compétence ou de qualité intrinsèquement différentes des autorités cantonales. Contrairement au Tribunal fédéral, qui a une fonction de Cour suprême appelée à juger des décisions des tribunaux cantonaux, qui doivent suivre sa jurisprudence, le MPC, comme d’ailleurs le Tribunal pénal fédéral ou le Tribunal administratif fédéral, est une autorité avec les mêmes fonctions que les autorités cantonales, uniquement avec un champ de compétence différent.

Vu le caractère flou en pratique du domaine d’activité du MPC, limité aux affaires supposées complexes et à large échelle, d’une part et, d’autre part, la nécessité, comme tout office bureaucratique, de justifier ses budgets, de ses postes de travail et en définitive de sa parcelle de pouvoir, le MPC est tenté de monter en épingle les affaires qu’il traite, le sensationnalisme visant à légitimer sa compétence.

Les dérives observées avec une continuité indéniable chez les successifs procureurs généraux de la Confédération doivent conduire à admettre que cet office est non seulement dysfonctionnel, mais inutile, voire nuisible pour l’efficacité de la poursuite pénale en Suisse. La disparition du Ministère public de la Confédération impliquerait simplement de retourner aux autorités cantonales une pleine compétence sur les affaires dépendant de leur juridiction territoriale. Pour les quelques affaires relevant spécifiquement d’une compétence de la Confédération (par exemple, corruption de fonctionnaires fédéraux), une délégation à une autorité cantonale ou la nomination d’un procureur ad hoc est envisageable.

En 1856, Jakob Amiet démissionna après quatre ans de son poste de Procureur général de la Confédération, ne pouvant souffrir de recevoir un salaire fixe pour un poste si désœuvré. Le poste ne fut ensuite plus repourvu pendant 23 ans… Autres temps, autres mœurs!

Notes:

1  SonntagsBlick du 23.06.2019, repris dans 24 heures du 24.06.2019.

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