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Le Conseil fédéral et le fédéralisme différencié

Xavier Panchaud
La Nation n° 2127 19 juillet 2019

Le Conseil fédéral a répondu, le 15 mai 2019, à l’interpellation 19.3355 « Le fédéralisme différencié. Une idée pour la Suisse ? » déposée par le conseiller national Jean-Luc Addor1.

L’introduction de la réponse commence de manière encourageante. Le Gouvernement affirme en effet que « le fédéralisme est un élément essentiel au bon fonctionnement de la Suisse »2. Il ajoute ensuite « comprend[re] le souci qui est au cœur de l’interpellation »3. Cela étant, « il estime que le partage des compétences entre la Confédération et les cantons doit suivre une ligne de démarcation claire et cohérente, dans le respect du principe de subsidiarité »4.

Il est sans doute souhaitable que le partage des compétences entre la Confédération et les cantons suive une ligne de démarcation claire et cohérente. Toutefois, selon nous, la répartition des compétences devrait se faire strictement en conformité avec le principe du fédéralisme (fixé dans la Constitution fédérale aux articles 3 et 42 al. 1), quitte à mettre la notion de la subsidiarité (telle qu’inscrite à l’article 43a al. 1 de la Constitution fédérale) au second plan.

En effet, la décision d’attribuer une tâche à la Confédération doit être un choix souverain du peuple et des cantons. Certes, le principe énoncé à l’article 43a al. 1 de la Constitution fédérale – disposition selon laquelle « la Confédération n’assume que les tâches qui excèdent les possibilités des cantons ou qui nécessitent une réglementation uniforme par la Confédération » – peut aiguiller le souverain, mais la décision doit être purement politique et non pas régentée par des considérations juridico-administratives5.

Venons-en à présent au cœur du sujet. En réponse à la première question de l’interpellation, à savoir « quelle est l’appréciation du Conseil fédéral sur le système institutionnel canadien " du droit de retrait ? », le Gouvernement affirme d’abord – justement – que les mécanismes institutionnels « s’inscrivent dans un contexte juridique, historique, politique et géographique particulier »6, pour ensuite déclarer que ledit système peut convenir au Canada.

Par ailleurs, le Conseil fédéral estime que cela n’aurait pas de sens que la Suisse s’inspire de ce modèle canadien du droit de retrait et introduise un mécanisme permettant aux cantons qui le souhaiteraient, sans que cela contraigne les autres à l’imiter, de récupérer des compétences fédérales (fédéralisme différencié).

Premièrement, l’exécutif affirme que cet instrument est contraire à nos droits populaires actuels. Deuxièmement, ce modèle serait peu compatible avec le principe de subsidiarité.

On formulera brièvement les observations suivantes. Il est constant que nos droits populaires, façonnés dans une conception unitaire du fédéralisme, ne prévoient rien qui puisse ressembler au droit de retrait. Il est également évident que l’article 43a al. 1 de la Constitution fédérale est habité par ce même esprit unitaire. Il s’agit précisément de changer ceci. Et cette proposition n’est pas complètement insolite.

Le fédéralisme suisse connaît en effet quelques éléments «asymétriques». Ainsi, les anciens «demi-cantons» d’Obwald, de Nidwald, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, d’Appenzell Rhodes-Extérieures et d’Appenzell Rhodes-Intérieures – qui sont des cantons à part entière selon le droit constitutionnel en vigueur – ont un statut particulier, à certains égards, qui apparaît aux articles 142 al. 4 et 150 al. 2 de la Constitution fédérale.

Dès lors, selon l’article 142 al. 4, les anciens «demi-cantons» comptent chacun pour une demi-voix pour le calcul de la majorité des cantons dans le cadre des votations populaires fédérales. Les autres cantons comptent pour une voix.

Par ailleurs, l’article 150 al. 2 prévoit que les «demi-cantons» élisent chacun un député au Conseil des Etat alors que les autres cantons élisent chacun deux députés.

Force est de constater que ces exceptions à la conception unitaire du fédéralisme suisse s’inscrivent parfaitement dans notre contexte politique et qu’elles ne nuisent aucunement à l’ensemble du système. Bien plutôt, on peut dire que ces particularismes affinent ce mécanisme complexe qu’est le fédéralisme helvétique. L’ajout d’éléments «asymétriques» en droit fédéral grâce au fédéralisme différencié mériterait par conséquent d’être examiné plus en profondeur par la Berne fédérale.

Notes:

1  Cf. La Nation no 2123 du 24 mai 2019. Le texte de l’interpellation et l’avis du Conseil fédéral sont consultables sur le site du Parlement fédéral à l’adresse suivante: https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20193355

2  Avis du Conseil fédéral du 15 mai 2019.

3  Ibidem.

4  Ibidem.

5  A la place de cette dernière expression, le Conseil fédéral parlerait certainement de «précepte institutionnel» adressé aux constituants et aux législateurs (Rapport du Conseil fédéral du 28 septembre 2018 «Répartition des tâches entre la Confédération et les cantons» en réponse à la motion 13.3363, p. 9).

6  Avis du Conseil fédéral du 15 mai 2019.

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