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Quelle vie après le Conseil d’Etat?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2131 13 septembre 2019

Le régime des pensions viagères dont bénéficient les anciens conseillers d’Etat a été plusieurs fois remis en cause depuis une dizaine d’années. C’est quand le trublion Pierre Chiffelle, démissionnaire du gouvernement pour raisons de santé après un très bref passage au Château, s’est trouvé nanti d’une rente équivalente à son demi-traitement précédent que des critiques se sont exprimées. Des parlementaires sont intervenus. Récemment, c’est le popiste Marc Vuilleumier qui a déposé une motion demandant l’abolition de la «rente à vie» et l’assujetissement des membres de l’exécutif au régime ordinaire de la Caisse de pensions de l’Etat de Vaud (solution moins généreuse et surtout dont les prestations ne débutent qu’à l’âge statutaire de la retraite); la motion n’aurait pas d’effet rétroactif, donc ne toucherait pas la situation acquise du trublion veveysan, désormais affilié au POP, que sa maladie (persistante selon un certificat médical) n’empêche pas de mener une activité d’avocat apparemment fort occupé, notamment pour attaquer des projets immobiliers susceptibles de violer la «lex Weber».

Le cas de M. Chiffelle a d’ailleurs provoqué une révision de la loi, entrée en vigueur en 2008. Le régime actuel, corrigeant certains défauts du précédent, est en résumé le suivant:

•   en cas de démission pour raisons de santé, une pension de 50% du traitement est versée; cette rente est sujette à révision selon l’évolution du cas (ce n’était pas prévu auparavant);

•   en cas de non-réélection après cinq ans ou en cas de retrait volontaire après dix ans, les anciens conseillers d’Etat reçoivent une rente calculée à raison de 7% par année d’activité jusqu’à cinq ans, 4% par année jusqu’à dix ans, 1% par année supplémentaire. Si l’intéressé a moins de 55 ans, une réduction de 1% par année manquante est opérée. Un minimum est fixé à 15%, un maximum à 60%. Après dix ans de fonction, la rente est donc de 55%;

•   si les durées de cinq ou dix ans de fonction ne sont pas atteintes, le sortant a droit à une indemnité de départ égale à son dernier salaire annuel s’il a siégé durant deux ans au moins, à six mois de salaire s’il a siégé moins de deux ans. Le «saut» entre cette prestation et la pension obtenue après cinq ou dix ans paraît excessif et peut conduire à prolonger indûment un mandat; une solution progressive serait bienvenue;

•   la pension est réduite dans la mesure où, additionnée au revenu d’une activité lucrative (ou aux prestations de remplacement d’une assurance), le total dépasse la rémunération d’un conseiller d’Etat en fonction;

•   les conseillers d’Etat cotisent à raison de 10% de leur traitement à titre de participation à leur prévoyance professionnelle.

Le régime des rentes viagères, qualifié par certains de procédé «d’un autre temps», voire de «privilège d’Ancien Régime», n’a plus la cote dans d’autres cantons. Il a été abrogé en Valais et dans le Jura; il est remis en question à Genève (à cause de M. Maudet) et à Fribourg.

La loi vaudoise nous semble pourtant parfaitement défendable.

Remarquons d’abord que le statut financier des membres du Conseil d’Etat, dans l’ensemble, n’a rien de luxueux. Le traitement est d’environ 250’000 francs annuels1. C’est fort confortable, mais nullement princier. Sans entrer sur la douloureuse question de savoir si ce montant est mérité par chacun, constatons qu’il reste largement inférieur à la paie de hauts fonctionnaires fédéraux, qui peut dépasser 350’000 francs.

Un régime de pensions différent du système général de prévoyance se justifie par le caractère extraordinaire, dans une carrière, de l’entrée au Conseil d’Etat. Ce n’est pas la poursuite ou le développement d’une activité professionnelle (où l’on passe d’une caisse du «2ème pilier» à l’autre en même temps que l’on change d’employeur), mais une rupture. On abandonne son métier pour passer à tout autre chose, avec le risque de la non-réélection (pas souvent réalisé, mais cela advient tout de même). Le métier antérieur, on ne pourra pas forcément le reprendre en quittant le gouvernement. L’avocat, oui en général, car la gestion de l’Etat n’est pas très éloignée de la pratique du droit. Mais le médecin, dont les techniques de sa discipline évoluent très vite? L’informaticien, dont le paysage professionnel est méconnaissable après dix ans? Le commerçant, qui a perdu le contact avec sa clientèle? Le paysan, qui a confié son domaine au fils plus tôt que prévu, ou qui l’a affermé?

On dira que l’ancien magistrat se voit offrir des prébendes. Parfois, pas toujours, et même rarement au niveau qui offre un revenu d’une certaine importance. Il n’est d’ailleurs pas souhaitable, pour la sauvegarde de l’indépendance du magistrat, que celui-ci doive viser durant son mandat à s’assurer un avenir rémunérateur. On a même prétendu jadis que le conseiller d’Etat honoraire devait s’interdire toute activité lucrative après son temps de gouvernement, pour rester libre de toute attache, voire disponible pour des missions bénévoles d’intérêt public appelant le concours d’une personnalité ayant de l’expérience, de la notoriété, de l’autorité. C’est une belle idée, qui peut heureusement convenir à la vocation de certains, mais dont il serait exagéré d’attendre une application habituelle. Elle sied d’ailleurs mieux à un notable arrivé à la soixantaine qu’à un quinquagénaire plein d’allant (et il n’est pas rare qu’on devienne conseiller d’Etat à quarante ans!). Interdirait-on à M. Maillard de devenir président rémunéré de l’Union syndicale suisse? Cincinnatus, notons-le, est retourné à sa charrue, et non à de perpétuels loisirs.

Les modalités prévues dans la loi actuelle évitent des cumuls de gains qui feraient jaser et permettent de corriger certains abus éventuels. Changer de système ne serait pas utile, mais un peu mesquin. Quelle que soit la qualité de nos conseillers d’Etat, leur fonction mérite considération.

Notes

1  Sans tenir compte des indemnités pour frais, plus ou moins forfaitaires, plus ou moins défiscalisées. C’est une autre affaire, qui a défrayé la chronique et qui en dit long sur certaines petitesses personnelles, mais qui ne change rien à l’appréciation générale du régime des pensions.

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