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Faire la morale?

Jacques Perrin
La Nation n° 2142 14 février 2020

Dans le Matin Dimanche du 19 janvier, M. Metin Arditi, écrivain, homme d’expérience aux compétences multiples, se demande si le texte voté par le parlement français assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme représente une avancée contre ce dernier. Etre opposé à l’existence de l’Etat d’Israël équivaudrait à faire preuve de haine à l’égard des Juifs en général. M. Arditi n’approuve pas cette équivalence. Il existe des Juifs antisionistes. Mettre l’antisionisme et l’antisémitisme sur le même plan renforcerait l’idée qu’il existe un complot juif mondial.

M. Arditi se demande ensuite comment lutter contre l’antisémitisme: Faut-il enseigner la Shoah ? Tout catéchisme entraîne son propre rejet. La culture ? C’est le peuple le plus cultivé d’Europe dans les années trente du XXe siècle qui a inventé les camps d’extermination.

La meilleure réponse consiste selon M. Arditi à apprendre à ses enfants à distinguer le bien et le mal. A en faire une responsabilité personnelle. Cela se passe à la table à manger, à la cuisine, en promenade le dimanche. Tous ces grands hommes de lettres qui ont encensé Matzneff durant des décennies étaient connus pour leur grande culture. Mais ils n’ont pas distingué le bien du mal. Ils ont oublié de penser.

Nous tombons d’accord avec M. Arditi sur cette injonction presque touchante, mais nous ne nous en dissimulons pas la difficulté.

Sous peine de se transformer en un discours inaudible, l’éducation morale fait d’abord assimiler les mœurs en vigueur, les formes de politesse et les usages, surtout grâce à l’exemple donné par les parents et les grands-parents. Il est possible, dans un second temps, d’en discuter, de préférence au sein de la famille. Pour commencer, les enfants imitent les modèles parentaux, puis ils réfléchissent.

Seulement, la morale et la famille rassemblant trois générations, le statut des pères, des mères et des enfants, tout cela est devenu instable, sujet à contestation; les «valeurs» admises sont tout autres. Quelle famille a-t-elle encore l’occasion de se retrouver autour d’un repas? Les obligations professionnelles empêchent la plupart des pères et des mères d’être à la maison. Les enfants dînent, au mieux, à la cantine scolaire; le plus souvent, assis sur un escalier, ils se satisfont d’une tranche de pizza et d’une canette de Red Bull. Le soir, ce n’est pas mieux: les «activités», la télévision, l’ordinateur et le portable isolent chaque membre de la famille dans son coin. Quant à la promenade du dimanche, déjà détestée par la plupart des adolescents du siècle dernier, elle n’a plus la cote. Les chemins de campagne sont déserts.

Et pourtant aucune société ne survit sans mœurs fondées sur une distinction du bien et du mal. Les adversaires des normes bourgeoises et des stéréotypes ont juste le choix entre l’hypocrisie et l’invention de règles qu’ils croient nouvelles, au nom desquelles ils «dénoncent» et «stigmatisent» les contrevenants. La morale est déconsidérée («vous n’allez pas nous faire la morale!»), mais le légalisme et le moralisme refleurissent sans cesse… L’immoraliste Nietzsche, fils de pasteur, ne se comportait pas comme un fauve dans la vie quotidienne. Sa correspondance montre qu’il exigeait beaucoup de lui-même et d’autrui en amitié, qu’il était toujours droit et poli, même avec sa pénible sœur, voire compatissant. Il fut davantage victime de personnes mal intentionnées que corrupteur.

Il se trouve que M. Arditi a finalement raison. Les mœurs et la distinction du bien et du mal, qui n’ont pas autant varié que le croient les relativistes, ne peuvent être inculquées qu’aux tout jeunes enfants, dans ce qui reste du cadre familiale (l’école arrive trop tard) et dans les relations humaines quotidiennes, par l’exemple, sans exclure ni les explications ni… la fermeté.

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