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Réconciliation

Jacques Perrin
La Nation n° 2142 14 février 2020

Vers dorés

Eh quoi! Tout est sensible.

(Pythagore)

Homme, libre penseur ! Te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose
?
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’univers est absent.

Respecte dans la bête un esprit agissant :
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose
;
Un mystère d’amour dans le métal repose
;
«
Tout est sensible ! » Et tout sur ton être est puissant.

Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie ;
A la matière même un verbe est attaché…
Ne la fais pas servir à quelque usage impie
!

Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres.

Vers dorés, sonnet de Gérard de Nerval (1808-1855), inspiré par les Vers d’or attribués au mathématicien et philosophe grec Pythagore (né vers 580 avant J.-C., mort vers 495), est, relativement aux disputes sur l’écologie, un poème apaisant et réconciliateur. Païens, pythagoriciens adeptes de la réincarnation, aristotéliciens (Aristote reconnaît une âme aux animaux et aux végétaux…), chrétiens attentifs aux créatures de Dieu et écologistes travaillés par la «spiritualité» peuvent méditer les vers de Nerval et s’accorder en partie sur leur contenu, même si ceux-ci contreviennent à la théologie chrétienne par leur panthéisme.

Le poète met l’homme en garde. Celui-ci est sans doute doué d’une intelligence et d’une puissance supérieures; il est comme un roi décidant du sort de l’univers en ses conseils. Seulement, il serait bien avisé d’éviter le péché d’orgueil (l’hubris des Grecs) s’il n’entend pas subir quelque vengeance (une nemesis) infligée par les êtres qu’il méprise. Nerval invite l’homme à se retourner et à mieux regarder ceux dont il se soucie seulement en vue de leur utilité, autrement dit à les respecter. La crainte n’est ici pas mauvaise conseillère.

C’est commettre un acte impie que de manquer de respect aux animaux, aux arbres, aux plantes, aux pierres ou au métal (aimanté, donc aimant), c’est offenser Dieu qui les a créés et les a animés chacun selon son mode. Le souffle de vie est partagé par tous, tout est sensible et sentant. Les actes de l’homme ne sont pas sans conséquences sur les êtres du monde; ceux-ci épient l’homme et sont aptes, qui sait, à réagir aux mauvais traitements. L’inertie et l’apparente stupidité des choses sont trompeuses. En elles habite une force mystérieuse.

Vers dorés, sonnet religieux au sens étymologique, relie les êtres. C’est l’homme que le poète interpelle, car le rang élevé qu’il s’attribue avec raison lui confère des responsabilités. Les vers renvoient à certaines répulsions que nous sommes nombreux à partager. La cruauté envers les bêtes nous répugne, nous n’admettons pas que des fleurs soient piétinées, arrachées, ou des champignons écrasés, que des murs soient souillés d’inscriptions ou de dessins criards, qu’une rage vengeresse s’en prenne aux objets du quotidien, que les toilettes publiques, irrespirables et infestées de déchets «toxicomaniaques», soient inutilisables, que l’iconoclasme et le vandalisme fassent la loi.

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