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Actualités  |  Mardi 2 juin 2015

Le préjugé comme brouillon de la pensée

Le préjugé est un jugement qu'on porte sur un individu, un événement, un problème avant même de l'avoir examiné. C'est souvent une simple reprise de l'avis d'une personne qu'on estime.

Ne disposant ni des connaissances ni de la structure logique qui lui permettraient de prendre une distance par rapport à ce qu'on lui dit, le tout-petit pense naturellement par préjugés. Il n'a pas besoin de juger par lui-même, puisque ses parents savent. Ce qu'il reçoit d'eux représente la totalité du monde vrai. Aussi son préjugé positif à l'égard de ce monde vrai engendre-t-il mille préjugés négatifs à l'égard de ce qui n'en fait pas partie: préjugé contre les riches s'il est d'une famille pauvre, contre les pauvres dans le cas contraire, contre les universitaires, ou contre les manuels, contre ceux d'un autre pays, d'une autre langue ou d'une autre religion.

A douze ou treize ans, nos disputes théoriques consistaient essentiellement à échanger avec force les avis, très simplifiés, de nos parents. Il est vrai que nous cherchions moins à cerner la vérité qu'à affirmer notre personnalité. Cela ne signifie encore pas que ce que nous disions était entièrement dépourvu de sens.

Il est bon que le préjugé cède la place à la recherche de la vérité. Soit dit en passant, le préjugé le plus difficile à lâcher est sans doute celui de l'infaillibilité parentale. On se sent un traître le jour où l'on y décèle une faille. Cela débouche alors sur ce préjugé inverse que nos parents ne comprennent rien à rien.

En tout cas, on doit veiller à conserver ce que le préjugé peut contenir de juste et garder à l'esprit que, malgré son caractère approximatif et potentiellement erroné, il constitue la première étape d'un jugement libre et personnel.

Ainsi, quand on rencontre un inconnu, on s'en fait une idée provisoire en se référant inconsciemment à ceux qui lui ressemblent. Et c'est à partir de ce préjugé qu'on va préciser et personnaliser son jugement.

Quand on écrit un article, on part sur une intuition que l'on préjuge pertinente. C'est elle qui tire notre plume en avant. Confrontée aux faits, à la logique et aux opinions contraires, elle se trouve parfois confirmée, parfois recentrée. Parfois même, terreur du journaliste pressé par les délais, elle fait long feu et l'auteur se retrouve face à une page obstinément blanche.

Un juge ne peut s'empêcher de se faire un brouillon de jugement lorsqu'il étudie un dossier. Ce préjugement le prépare à bien écouter les personnes en cause pour corriger ou compléter son avis. Un chercheur scientifique part toujours d'une hypothèse. Et qu'est-ce qu'une hypothèse, sinon un préjugé assumé?

L'intelligence humaine a tout ensemble besoin de préjugés pour avancer et besoin d'en faire litière pour s'élever.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 2 juin 2015)