Douze? Pourquoi ont-ils pris douze?
Un vote chasse l'autre. Le 24 novembre, nous nous prononcerons sur l'initiative fédérale «1:12 - Pour des salaires équitables». Elle prévoit qu'au sein d'une même entreprise, le plus haut salaire ne doit pas être plus de douze fois supérieur au plus bas.
En principe, cette initiative ne vise que quelques grands patrons rapaces. En réalité, elle annonce de lourds dégâts collatéraux pour tout le monde: ingérence de l'Etat dans la politique interne des entreprises; création d'un service administratif fédéral assez nombreux pour contrôler que les 300 000 entreprises suisses respectent la loi; remplacement des employés les plus faiblement rémunérés par des sous-traitants externes; pertes annuelles pour l'AVS et l'AI estimées à un demi milliard de francs, perte du double pour les impôts.
La fixation des salaires est aujourd'hui l'affaire de l'entreprise, dans le cadre des conventions collectives signées par les représentants syndicaux et patronaux. L'élaboration d'une telle convention relève de l'horlogerie. C'est un travail long et délicat, tenant compte d'un grand nombre de facteurs aussi bien humains que conjoncturels.
Et voilà que les Jeunes socialistes décident, en toute simplicité, de plafonner les salaires au moyen d'un critère unique fondé sur le chiffre douze. Pourquoi douze? Pourquoi douze plutôt que neuf, ou quatorze? Ou sept et demi? Allusion à douze salopards patronaux? à douze apôtres socialistes? Le syndicat Unia présente la chose comme un point de doctrine non négociable: «Personne ne doit gagner en un mois plus qu'un employé en une année». Un point c'est tout!
Le recours aux chiffres inspire un sentiment de précision et de maîtrise. Mais en l'occurrence, c'est une précision trompeuse et ce n'est qu'une apparence de maîtrise. Car sur le fond, rien ne justifie ce douze, qu'on a finalement choisi pour ses seules vertus mnémotechniques et publicitaires.
Et l'on peut craindre, si l'initiative est acceptée, que cette proportion d'un à douze ne résiste pas durablement aux exigences du principe égalitaire qui a inspiré les initiants: à terme, en effet, pourquoi ne pas proposer le passage à la proportion d'un à huit, ou à six, ou à deux? D'ailleurs, du point de vue de la stricte égalité, il est déjà discutable qu'un employé gagne deux fois plus qu'un de ses collègues!
M. Christian Levrat, président du Parti socialiste, a parlé de l'initiative comme d'une «utopie nécessaire». Dans le sens d'aujourd'hui, utopie veut dire «conception du monde impossible à réaliser». C'est clair. En même temps, le chef ne veut pas lâcher ses jeunes troupes. Alors il dit que l'initiative ouvre «un débat indispensable sur la justice sociale et la répartition des richesses.»
Nous comprenons son problème, mais faut-il inscrire un texte dangereux dans la Constitution pour la seule satisfaction d'ouvrir un débat… ouvert depuis longtemps?
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 24 septembre 2013)