Le Conseil fédéral abuse du droit d'urgence
Durant la Seconde Guerre mondiale, le Conseil fédéral recourut abondamment au droit d'urgence, lequel lui permettait de promulguer des arrêtés dépourvus de base constitutionnelle sans en référer au peuple et aux cantons. Il en prit l'habitude et, la paix revenue, entendit bien conserver cette procédure.
Ce n'était pas entièrement injustifié: même en temps de paix, certaines situations imprévisibles exigent des décisions plus rapides que ne le permet la lenteur prudente de la fabrication des lois. Mais conserver tel quel le droit d'urgence revenait à condamner la démocratie directe à mort.
Le problème était donc double: comment assurer le contrôle du peuple et des Cantons tout en donnant aux autorités fédérales un moyen d'agir dans l'urgence?
La Ligue vaudoise lança alors une initiative dite «Pour le retour à la démocratie directe», qui satisfaisait à l'une et l'autre exigences: on conservait le principe du contrôle du souverain, mais sa mise en œuvre était différée de douze mois. La disposition urgente pouvait ainsi déployer ses effets immédiatement et durant une année, après quoi le système ordinaire du référendum, obligatoire ou facultatif selon le cas, recommençait à fonctionner.
L'initiative recueillit les signatures nécessaires. Les services fédéraux démontrèrent de toutes les manières qu'elle était dangereuse et inutilisable. Le Conseil fédéral traîna quatre longues années avant de la soumettre au vote. Contre toute attente, le souverain l'accepta. Elle se révéla des plus utile.
Revenons au présent. Comme on le sait, le Conseil des Etats, séduit par la dialectique euphémisante d'Eveline Widmer-Schlumpf, a fait litière de notre souveraineté en acceptant une loi dont il ne connaissait – ordre de Washington – ni le contenu, ni la portée. Le Conseil national se prononce aujourd'hui.
Pour éviter un référendum certain, suivi d'un refus populaire non moins certain, le Conseil fédéral a décidé de recourir au droit d'urgence tel que nous venons de le présenter. Autrement dit, en cas d'acceptation, la Lex USA entrera en vigueur sans délai et il faudra attendre juillet 2014 pour lancer un référendum. D'ici là, elle aura craché tout son venin, et le référendum arrivera comme grêle suisse après vendange américaine.
Sur le fond, le droit d'urgence a pour but de donner un peu de mou institutionnel au Conseil fédéral quand il se trouve en situation d'urgence objective. Ce n'est pas un blanc-seing accordé aux autorités pour faire impunément n'importe quoi, par exemple céder à la panique, s'aplatir devant l'ennemi et imposer cet aplatissement à un peuple qui n'en veut pas. Il doit permettre au Conseil fédéral de mieux affirmer notre souveraineté, non d'accélérer l'exécution des décisions impérialistes d'une puissance ennemie.
L'abus du droit d'urgence est flagrant. C'est aussi sur cette forfaiture que le Conseil national doit se prononcer aujourd'hui.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 18 juin 2013)