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Actualités  |  Mardi 8 mai 2012

Faut-il psycho-médicaliser toute la population?

Vous demandez à un jeune ado de lire quelques lignes en public. Sa mère, inquiète, vous glisse à l'oreille que, selon le médecin scolaire, il est dyslexique et dysorthographique. Vous ne l'aviez jamais remarqué. Un de ses camarades est bipolaire, un autre est anorexique. Son cousin est un autiste léger.

Ces malheurs font beaucoup d'heureux: les parents, satisfaits de trouver des explications rationnelles aux résultats désastreux de leur génial fiston; l'écolier invivable, qui abuse de son statut d'hyperactif pour échapper aux sanctions; le cancre, qui justifie ses carnets désespérants par sa qualité de surdoué incompris; le personnel médical et paramédical, qui voit le chômage s'éloigner.

Le directeur de l'Ecole veut à tout prix éviter le reproche de n'avoir pas détecté une tare qui, prise à temps, était guérissable. Etre couvert, voilà son but, et l'approche psychiatrique du comportement des élèves y contribue. Le phénomène n'est d'ailleurs pas propre au monde scolaire. Partout, on se couvre en multipliant les audits administratifs et les rapports scientifiques, les commissions d'experts et les réseaux d'intervenants.

Un médecin déclare à la presse qu'un tiers environ des Suisses sont sujets à des troubles psychiques. Un tiers? D'une certaine façon, tout le monde l'est. Tel évite de marcher sur l'ombre des lampadaires, tel autre répète tout ce que vous dites en écho immédiat, un troisième voit des complots dans tous les coins ou se livre à la copocléphilie. Chacun a ses nœuds, ses blocages, ses obsessions. Dans toutes les familles, il y a des oublis qualifiés, des non-dits et des dénis.

D'ailleurs, vous-même, ne contrôlez-vous pas toujours deux fois que la porte d'entrée est fermée à clef, que l'ordinateur est éteint et que les plaques de la cuisinière sont sur zéro?

Le tout est de savoir s'il est nécessaire de se débarrasser de ces zones d'ombre pour vivre correctement et donner son plein. Ce serait le cas si l'homme était un ordinateur à formater ou une mécanique à régler.

Mais l'être humain, doué d'une âme raisonnable, échappe partiellement aux déterminismes matériels. Sa raison le rend capable d'orienter librement ses jugements, décisions et actions en fonction de finalités qui le dépassent, notamment, pour rester dans ce bas monde, le bien de sa famille et le bien commun politique.

Ces raisons supérieures de vivre lui permettent de maîtriser tant bien que mal ses multiples petites manies et folies. Elles renforcent sa capacité de cicatriser les souvenirs pénibles, de rebondir après les pires des chutes et de tirer, parfois, un bien d'un mal. Elle l'équilibrent en permanence, à l'image du cycliste dont la trajectoire rectiligne est faite de déséquilibres successifs compensés à chaque tour de pédale.

Le traitement médical doit être réservé aux cas où il apparaît que l'ombre est plus forte que la personne et menace de l'engloutir.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 8 mai 2012)