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Actualités  |  Mardi 24 avril 2012

Un citoyen hors du monde

Dès qu'il fut en âge de penser, il s'est proclamé «citoyen du monde». Il fallait en finir avec ces barrières et frontières qui divisent l'humanité et qui font qu'à quelques mètres près, telle famille vit en paix dans son foyer tandis que telle autre est happée dans les tourments d'une guerre absurde et qu'une troisième est emmenée en captivité sans espoir de retour.

Toute sa vie, il a pris en toute chose le parti des réformes qui visaient à supprimer des divisions ou des discriminations. Il a soutenu l'unification de la formation scolaire, les regroupements hospitaliers, la substitution de formules épicènes aux tournures sexistes, les centralisations fédérales et les traités internationaux. Il a voté pour l'Espace économique européen, pour l'ONU et contre la réhabilitation de l'armée.

Aujourd'hui, il touche à l'automne des idées et ressent un certain besoin de faire un bilan. Que constate-t-il?

La suppression des barrières était censée apporter l'unité, la clarté, la simplicité, en un mot, la justice. Et ce fut la mondialisation qui arriva, la mondialisation politique (droit d'ingérence, bombardements sur la Libye, mise à genoux de la Grèce, brutalité des relations interétatiques, souvent à la limite du chantage), la mondialisation économique et financière (érosion du dialogue social et syndical, délocalisations, montée en puissance des grandes multinationales, extension des groupes maffieux), la mondialisation sanitaire (Mme Chan et la grippe aviaire), la mondialisation scolaire (Pisa, Bologne): il constate, dans chaque domaine, une perte de maîtrise et de lisibilité.

Optimiste, le citoyen du monde avait interprété les succès électoraux de l'UDC comme les ultimes convulsions précédant la naissance d'un monde nouveau. Mais comment interpréter la décomposition du printemps arabe qui devait ouvrir les peuples du Nord de l'Afrique à la démocratie et à la modernité? Comment appréhender positivement la progression du désordre et de la pauvreté, ainsi que le succès des mouvements islamistes qui en sont résultés?

Il en arrive à se demander si, politiquement, les jeunes révolutionnaires accrochés à leur portable ont fait autre chose que jouer le rôle d'«idiots utiles». Quant aux revendications des éphémères indignés locaux, elles l'ont affligé par leur caractère moutonnier et leur hédonisme infantile. Les indignés de sa jeunesse étaient certes plus musclés.

Il ne s'est jamais engagé concrètement dans la société, craignant que l'épaisseur, le poids et l'opacité du concret et du quotidien ne le détournent de l'essentiel. Son refus de l'engagement au nom de l'ouverture a peu à peu défait les liens de famille et d'amitié qui l'attachaient au monde. Et il se demande aujourd'hui s'il n'est pas, finalement, citoyen de son seul monde intérieur, isolé des autres par des barrières personnelles aussi infranchissables que celles qu'il aurait tant voulu détruire.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 24 avril 2012)