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Actualités  |  Mardi 4 octobre 2016

Apprendre par cœur, un processus vital

A ceux qui considèrent qu'apprendre par cœur est un exercice sans intérêt, répondez d'abord que c'est utile et que chercher dans sa tête est en général plus rapide que surfer sur internet. Mais il y a plus que l'utilité: mémoriser les règles du français et leurs exceptions, les formules mathématiques, le nom des plantes et des oiseaux, les capitales du monde, les grandes dates de l'histoire et les rivières du pays, c'est plus qu'entasser des connaissances dans un tiroir. C'est installer en soi une trame vivante qui cadre le raisonnement, facilite la compréhension et enrichit l'expression.

Apprendre par cœur, c'est aussi planter pour récolter plus tard. Le catéchumène qui apprend par cœur le Symbole des apôtres n'en comprend qu'une faible partie. Ce n'est pas grave. Il met le reste en réserve. Et quand il comprendra la notion de «communion des saints», par exemple, il pourra d'emblée la mettre à la place que sa mémoire lui a conservée, entre l'«Eglise universelle» et la «rémission des péchés».

En matière de poésie, l'apprentissage par cœur est une nécessité. Les règles strictes de la versification font du poème un tel concentré de langage et de sens, une synthèse si serrée de fond et de forme que la simple lecture attentive ne suffit pas. Elle permet sans doute de comprendre le poème et de l'expliquer. Mais ce qui est premier, ce n'est pas l'explication, c'est la réception reconnaissante du poème dans son originalité et son unité. En l'apprenant par cœur, en le laissant se déployer en nous, on respecte cette priorité. Ensuite, on peut commencer l'explication de texte.

La poésie supporte mal les effets de muscles. Même si vous êtes enfantinement fier de pouvoir dire de mémoire La Mort du Loup ou Le Cimetière marin, évitez d'encombrer les réunions de famille ou d'amis de vos performances mémorielles. Le respect dû au poème vous impose de ne le réciter que devant des auditeurs prêts à l'entendre… ce qui, d'expérience, arrive rarement.

Non, c'est principalement pour vous que vous apprenez par cœur. Vous vous ennuyez dans une salle d'attente? Vite, en silence, un petit sonnet sur le temps qui s'en va, ou plutôt sur nous qui nous en allons! Cette thérapie poétique n'est pas moins efficace dans un métro bondé et malodorant, sur le siège de douleurs de votre dentiste, ou dans ces «nuits de doute où l'angoisse vous tord» au cours desquelles, pour échapper à «l'essaim des rêves malfaisants», vous extirpez, vers à vers, de votre conscience somnolente Le Crépuscule du Matin, Booz endormi, Le Dormeur du Val ou le cauchemar en losange des Djinns. Et, quand vient le moment où «l'espace / efface / le bruit», vous vous rendormez doucement, heureux d'avoir ainsi rafraîchi votre mémoire et votre cœur.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 4 octobre 2016)