Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée
Actualités  |  Mardi 22 août 2017

Le mobbing, sur l'«air de la calomnie»

Le mobbing, ou harcèlement moral, est le poison des grandes structures, privées ou publiques. Il déstabilise sa victime, brise ses résistances et détruit sa confiance en elle. Mille motifs à cela: obscure incompatibilité personnelle, rivalité professionnelle, jouissance du pouvoir, besoin d'un bouc émissaire pour renforcer la cohésion du groupe, volonté de se séparer d'un employé sans indemnité de licenciement, etc.

Le mobbing progresse au même rythme que l'air de la calomnie du Barbier de Séville. Le mobbeur commence piano, piano. Il crée, allusivement, une infime ambiance de suspicion. En présence des collègues de travail, il donne des ordres ou des conseils inutiles au futur mobbé, comme si celui-ci ne maîtrisait plus ses tâches. Ou alors, il l'humilie avec des exigences trop élevées, ou trop basiques. Dans tous les cas, le mobbing doit conserver un air anodin: si le mobbé se rebiffe, on pourra faire coup double en dénonçant vertueusement sa paranoïa.

L'action va en se renforçant (rinforzando). Car le mobbeur est rusé. Il sait où ça fait mal. Il sélectionne un mot malheureux ou une erreur sans conséquences qu'il gonfle sans mesure. Il l'invente au besoin. Il somme solennellement le mobbé de «revisiter son poste», voire de le «réinventer», mais sans en dire plus. Face à cette exigence, aussi vague que comminatoire, le mobbé commence à se demander s'il n'est pas dépassé, si ses tourmenteurs n'ont pas raison. Il a peut-être tort de leur en vouloir. Stockholm n'est pas loin.

Il ressasse l'affaire durant ses nuits sans sommeil. La fatigue croissante lamine ses nerfs. Craignant de lasser son entourage, il se renferme. La pression du stress n'ayant plus d'exutoire, l'explosion menace, ou l'implosion. Ses proches lui donnent de bons conseils que sa situation de faiblesse ne lui permet pas de suivre. Son estime de soi s'en ressent.

Crescendo : une banale réunion se transforme en procès à huis clos, sans témoin ni défenseur. Pris à froid, le mobbé en sort anéanti. Il envisage une démission vengeresse… mais n'est-ce pas exactement ce qu'ils attendent?

Et puis on laisse reposer, le temps pour le mobbé de se dire que ce n'était qu'un mauvais rêve. Alors, on porte une nouvelle estocade. Et ainsi de suite. A la fin de l'air du Barbier, on voit le pauvre calomnié «tomber terrassé». La version originale italienne dit plus crûment va a crepar, «s'en va crever». C'est bien l'idée.

Le vrai coupable, c'est moins le mobbeur, médiocre et chafouin, que celui qui rend son forfait possible. Le vrai coupable, c'est la direction, censée orienter toutes les énergies vers la finalité de l'entreprise ou du service. Quand elle ne le fait pas, par insuffisance intellectuelle ou morale, le petit chef en profite fatalement pour s'accaparer un peu de pouvoir et en abuser.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 22 août 2017)