Triple impasse pour la paysannerie
La paysannerie, c'est l'agriculture en tant que branche économique. C'est aussi la mise en valeur et la préservation du sol par une culture réfléchie et diversifiée. Mais c'est d'abord un ensemble de domaines familiaux, une classe sociale qui, de génération en génération, nous assure la nourriture, même en cas de conflit. Cette classe se trouve dans une situation critique. Si l'évolution actuelle continue, elle disparaîtra, et nous avec. C'est la première impasse.
Deux initiatives populaires ont été lancées pour changer de cap. L'une, politique et institutionnelle, vise à rétablir une certaine souveraineté alimentaire de la Suisse ainsi qu'une rémunération correcte des paysans. L'autre, écologique et morale, veut assurer la qualité et la proximité de notre alimentation. L'une et l'autre sont multi-étatistes et centralisatrices. Elles fixent à la Confédération une foule d'objectifs très généraux et ambitieux au point d'en être irréalisables. Les finalités sont excellentes, les moyens proposés ne le sont pas. Or, c'est sur les moyens qu'on va voter, pas sur les finalités. C'est la deuxième impasse.
L'idée d'un vote «symbolique» déclenchant un mouvement d'ensemble qui réorienterait la politique agricole sur le droit chemin est illusoire. On l'a vu avec le contreprojet à l'initiative «Pour la sécurité alimentaire». Qui s'en souvient seulement, alors qu'il a été accepté il y a moins d'une année par les quatre cinquièmes des votants?
La troisième impasse est due à un blocage idéologique. Nos engagements internationaux, disent les opposants libéraux aux deux initiatives, nous interdisent d'imposer aux producteurs étrangers le respect des exigences que nous imposons à nos paysans. En d'autres termes, dans l'affrontement de la concurrence, l'un des boxeurs a le droit de mettre un fer à cheval dans son gant, mais pas l'autre. Et si cet autre se protège la mâchoire, c'est du protectionnisme inacceptable!
Ces gens-là sont vraiment tombés sur la tête. Contrairement à ce qu'ils croient, ils ne défendent pas l'économie. Ils ressassent, sans esprit critique, le credo du libre marché. Que ce marché désagrège les nations, tue les professions organisées, abolisse les protections syndicales et fasse disparaître la paysannerie, bof… c'est le prix à payer de la rectitude idéologique.
En réalité, un gouvernement peut et doit dénoncer n'importe quel traité international si celui-ci menace une classe entière de la population, a fortiori quand cette classe est indispensable à la survie du pays. L'économie, qui est la production des biens nécessaires à la collectivité avant d'être un combat entre concurrents, doit être soumise, elle aussi, aux critères du bien commun. Quelle qu'en soit l'issue, les deux votes du 23 septembre ne nous sortiront pas de cette triple impasse.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 18 septembre 2018)