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Actualités  |  Mardi 13 novembre 2018

Une déconstruction culturelle irresponsable

Le combat féministe, relancé par l'affaire Weinstein, pose une fois de plus la question des relations qui existent entre la nature et la culture. Pour les mouvements féministes, c'est une erreur de considérer a priori comme «naturels», c'est-à-dire impératifs, les usages sociaux qui règlent les rapports entre les femmes et les hommes. En réalité, estiment-ils, ces règles sont des constructions culturelles, des productions sociales conçues par des mâles et dans l'intérêt des seuls mâles. Les féministes les plus avancées ajoutent qu'ils l'ont fait consciemment, dans la perspective expresse d'exercer leur domination sur les femmes.

L'institution dont les féministes critiquent plus que de toute autre l'injustice culturelle patente, c'est la famille, lieu par excellence de l'aliénation des femmes (et, d'ailleurs, des hommes eux-mêmes), lieu de reproduction des rapports d'inégalité et des abus qui en découlent nécessairement.

Beaucoup de féministes jugent aujourd'hui que réaliser leurs buts pas à pas, au moyen de modifications législatives méthodiques, est insuffisant: sous le droit et sur le fond, les préjugés sexistes demeurent, non seulement dans la conviction des mâles, mais aussi chez beaucoup de femmes. Pour vider l'abcès, il serait nécessaire d'entreprendre, en particulier lors de l'éducation scolaire des premières années, un travail de déconstruction radicale des stéréotypes de genre. Ce serait la seule manière de dégager, enfin, la véritable nature, égale, de la femme et de l'homme.

Dans la perspective de la «convergence des luttes», d'ailleurs, les meneurs des combats contre l'homophobie et pour les droits des «LGBT», contre l'exclusivisme religieux et contre le racisme exigent eux aussi une telle déconstruction. Pour eux aussi, l'opposition entre une culture inégalitaire et une nature qui ne l'est pas joue un rôle essentiel.

Notre sentiment est que cette entreprise de déconstruction culturelle est un chemin sans issue. Elle ne semble en tout cas pas réduire les idées inégalitaires. Elle ne rend pas les hommes plus respectueux des femmes, elle ne diminue pas le nombre de femmes battues, elle n'assure pas aux femmes plus de sécurité dans les rues. C'est l'inverse qui est vrai: en déconstruisant la culture, on détruit du même coup les barrières de mœurs qu'elle-même avait édifiées contre ses propres dérives. Ne subsistent plus, alors, que les incivilités quotidiennes.

En fait, la nature a un besoin absolu d'une culture qui la mette en forme. Cela n'a aucun sens de les opposer: nos règles culturelles nous sont profondément naturelles et il en va de même pour tous les pays. Et quand l'un de nos semblables maîtrise nos usages les plus complexes, on dit de lui qu'il est «naturel». Le comble du culturel est ainsi le comble du naturel.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 13 novembre 2018)