La galanterie, stade ultime du sexisme?
Le «Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes» a publié son Premier état des lieux du sexisme en France le 17 janvier. Les auteurs de cette étude de cent quarante pages se demandent notamment, à la page 24, si la galanterie doit être considérée comme une forme de sexisme. La réponse est claire: «La galanterie, qui repose sur l'asymétrie des sexes, est une contrepartie des sociétés patriarcales visant à maintenir les femmes dans leur état d'asservissement». C'est donc même un sexisme particulièrement sournois, qui s'efforce de «dissimuler l'inégalité sous des fleurs».
La réponse est logique, si l'on se place dans la perspective d'une conspiration masculine visant depuis les temps anciens à maintenir les femmes en état de sujétion. Toutefois, même ceux qui partagent cette approche complotiste devraient nous accorder que ce n'est pas l'intention du galant lambda. En s'effaçant devant sa compagne ou, à l'inverse, en passant le premier pour assurer, tout symboliquement, sa protection dans un lieu public, celui-ci veut juste manifester le respect qu'il lui doit. Est-ce à dire que les mâles eux-mêmes sont des victimes inconscientes du complot masculiniste, comme le capitaliste est, selon Marx, la victime inconsciente de l'aliénation qui l'amène à exploiter son semblable?
On reproche à la galanterie de condamner la femme à la passivité. Ce n'est pas toujours exact. A table, c'est la femme qui décide quand on s'assied. Lors d'une rencontre, c'est encore elle qui tend la main la première, la retenue attentive de l'homme signifiant qu'il ne vient pas en agresseur. Se contentera-t-on de nous rétorquer que ces règles, imposées par les hommes, en sont d'autant plus suspectes?
Les règles de la politesse sont formelles. Leur usage n'engage guère. Elles signifient simplement que vous traitez l'individu placé en face de vous comme votre semblable et digne d'un minimum d'égard. Elles rendent les relations sociales plus lisibles et donnent aux personnes timides une contenance qui, avec le temps, devient naturelle.
La galanterie va certes plus loin. Elle est souvent l'antichambre de la séduction. Mais c'est une approche retenue qui, tout à la fois, dévoile et contient le désir. Réservant la liberté du vis-à-vis, elle est aux antipodes de la «drague» vulgaire. Elle permet au séducteur évincé de sortir de l'antichambre sans trop d'humiliation.
Qui peut croire que rejeter les règles asymétriques de la galanterie engendrera plus d'harmonie sociale, d'équité et de respect mutuel? Ce rejet contribuera au contraire à accentuer une dérive, déjà très présente dans la société actuelle, vers l'indistinction, l'individualisme et l'incivilité. Il renforcera, dans les relations humaines, la part de la raison du plus fort, qui est statistiquement celle du mâle.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 5 mars 2019)