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Actualités  |  Mardi 7 janvier 2020

L’avenir radieux de la presse d’opinion sur papier

Avec internet, la liberté d’expression semble à première vue sans limites. N’importe qui peut toucher instantanément le monde entier et pour un coût bien plus faible que celui d’un journal imprimé. L’homme étant ce qu’il est, les sites de désinformation, injurieux, bellicistes ou pornographiques ont, bien entendu, crû dans les mêmes proportions. Les rédacteurs des sites d’opinion reçoivent des commentaires insultants, ou, ce qui est encore pire, qui les approuvent en avilissant leur pensée. Il en va de même sur les réseaux sociaux. Mentionnons encore les sites incontrôlables qui, dans les souterrains de la toile – le darknet –, mettent à la disposition de ceux qui en ont les moyens, et en toute impunité, n’importe quelle arme, n’importe quel produit interdit ou perversion répugnante.

L’ordre public exige qu’au moins la partie du net accessible à l’internaute moyen soit régulée. Faute de mœurs, cette régulation passe fatalement par la censure légale. Dans la loi allemande, elle ne relève pas de l’Etat, mais directement des entrepreneurs du net, réseaux sociaux et autres «grandes plateformes». Ceux-ci doivent supprimer la page ou le site dénoncé dans les vingt-quatre heures, sous peine d’amendes énormes. La dénonciation infondée est punissable. La loi française en discussion va dans le même sens.

Visant à éviter tout risque de sanction financière, la censure algorithmique privatisée coupera large et ras, sans explications ni appel. L’opération se payera fatalement d’un appauvrissement du débat public sur les sujets sensibles, identité nationale, religion, famille, écologie, climat, migrations, terrorisme. Les sites d’opinion indépendants en souffriront tout particulièrement.

Tout compte fait, un journal d’opinion imprimé jouit d’une liberté d’expression plus complète. D’abord, il ne dépend pas d’un fournisseur supranational hors-sol, mais d’un imprimeur local dont il peut changer. A la limite, il peut acquérir une presse d’occasion, imprimer soi-même sa publication, à la manière d’un samizdat, et l’expédier sous un pli fermé que la poste ne pourra contrôler, sauf à ouvrir tous les envois. Ensuite, du manuscrit aux épreuves et des corrections à l’impression, la durée de la fabrication donne au rédacteur le temps d’améliorer son texte et de rectifier les excès du premier jet.

La censure menace aussi les journaux imprimés, certes. Du moins, cette censure n’est-elle pas externalisée chez on ne sait qui. Elle passe par le droit et les tribunaux. Le censuré peut recourir. En un mot, la matérialité même de l’imprimé assure une liberté dans la rédaction et une mesure dans la censure que le caractère immatériel d’internet ne connaît pas. Si la censure sur internet suit son évolution actuelle, la presse d’opinion sur papier a encore un bel avenir devant elle.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 7 janvier 2020)