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Actualités  |  Mardi 2 février 2021

Appropriation culturelle et multiculturalisme

La notion d’«appropriation culturelle» désigne la reprise, par les représentants d’une culture dominante, d’éléments spécifiques d’une autre culture. Certains déplorent le procédé, jugeant que, dans une époque de dispersions migratoires, il est vital pour chaque groupe culturel, où qu’il se trouve, de pouvoir conserver l’entière maîtrise de sa propre culture. En d’autres termes, il est nécessaire que les cultures coexistent sur un pied d’égalité. C’est le multiculturalisme.

Le problème est que la culture d’un peuple, ce n’est pas seulement ses productions artistiques et littéraires, mais aussi sa religion, ses usages, ses conceptions de la famille, du droit, de la justice, de l’Etat. La société multiculturelle est donc menacée de se fractionner en autant de communautés exclusives qu’elle compte de groupes culturels distincts. Chacun de ces groupes, dès lors qu’il sera assez nombreux et puissant, tendra à vivre comme dans son pays d’origine. Face à l’Etat, il revendiquera un droit propre, conforme à ses mœurs plutôt qu’à celles du pays d’accueil, des endroits pour pratiquer sa religion, des menus de cantine et des programmes scolaires particuliers, des congés pour célébrer ses propres fêtes. Si l’Etat refuse ces revendications séparatistes au nom de l’unité sociale, il est intolérant. S’il les accepte, il divise la société en fractions étrangères les unes aux autres. Dans les deux cas, il bafoue l’idéal multiculturel.

Au contraire de ce multiculturalisme diviseur, l’appropriation culturelle offre d’étonnants exemples d’accord entre les cultures. Ainsi, au milieu du XIXe siècle, le Japon devient à la mode en France. Les œuvres de ses peintres influencent les maîtres, notamment Claude Monet, qui les collectionne, et Vincent Van Gogh. L’Américaine Mary Cassatt incorpore la netteté et la délicatesse japonaise à sa propre manière impressionniste, qui s’en trouve étonnamment renouvelée. Après l’Asie, l’Afrique: le cubisme propose une synthèse de l’approche géométrique de Cézanne et de l’art africain. Là de nouveau, l’appropriation est manifeste. Pour autant, elle n’est pas une simple récupération, ni une rapine, ni un plagiat. Car cet art venu d’Afrique, tout à la fois, influence les artistes et leur fournit un matériau qu’ils composent à leur idée. Ainsi chemine l’aventure artistique.

L’appropriation culturelle, dans ce qu’elle a de meilleur, est une façon de retravailler les formes les plus étrangères à sa culture pour les faire siennes… et universelles. Entre le multiculturalisme impossible et le rejet pur et simple, elle dessine un accueil possible de l’étranger. La population de souche, celle qui a construit le pays, reçoit l’étranger et l’assimile. Et du même coup, contrepartie inattendue, elle se trouve elle aussi, peu ou prou, assimilée par lui.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 2 février 2021)