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Actualités  |  Mardi 30 mars 2021

L’Eglise écartelée entre ses fidélités

Les formules bibliques peinent à passer dans le langage actuel: comment parler aujourd’hui de la création de l’univers à partir de rien, de l’existence du Christ, «vrai homme et vrai Dieu», de son triomphe sur la mort et de sa résurrection, laquelle annonce notre propre résurrection, de son retour à la fin des temps? Toutes ces notions fondamentales, qui furent reçues et proclamées durant deux millénaires de christianisme, sont devenues à peu près informulables dans le vocabulaire omniprésent des techniciens et des gestionnaires.

Dès lors, l’Eglise est tiraillée entre deux voies extrêmes. Elle peut s’«adapter» au monde, recourir à son vocabulaire et à ses catégories, baptiser les «valeurs» modernes, l’égalité, la solidarité, la tolérance, la transparence, en faire les éléments d’une nouvelle théologie, d’une nouvelle morale et d’une nouvelle mission. Ce faisant, elle risque de dilapider l’héritage spécifique de la Révélation, dont elle est pourtant la gardienne. Elle risque de la rendre insignifiante en en dissimulant tout ce qui ne correspond plus aux critères actuels. Elle risque encore de sombrer dans un activisme épuisant, destiné à bien montrer qu’elle est en phase avec la modernité. Elle risque enfin de décevoir et de rejeter à l’extérieur nombre de croyants qui cultivent encore cet héritage.

L’Eglise peut aussi, à l’inverse, s’efforcer de conserver l’héritage dans son entier, s’enfermer en elle-même, sacraliser ses pratiques, même les plus contingentes, couper les ponts avec un monde qui ne la comprend plus, adopter l’attitude intransigeante des «communautés-refuges». Agissant ainsi, elle se montre certes fidèle en ce qu’elle protège les fondamentaux, en vue de temps plus cléments. Mais elle l’est moins en ce qu’elle néglige l’ordre impérieux de la mission, «allez et faites de toutes les nations des disciples» (Matth. 28:19), qui fait un devoir au chrétien d’accepter la confrontation avec le monde, même hostile, selon l’exemple de l’apôtre Paul. Cette Eglise, érigée en forteresse, pourrait-elle d’ailleurs échapper à la tentation sectaire, à l’esprit de jugement, à la propre justification, bref, à tout ce qu’apporte presque nécessairement un confinement, lequel menace d’être d’autant plus toxique qu’il se prolonge plus longtemps?

L’Eglise, évangélique réformée du Canton de Vaud se trouve ainsi, comme bien d’autres, déchirée entre la Parole et le monde, et dans une situation très difficile à gérer. Il serait juste, toutefois, dans la perspective que nous avons dessinée, de considérer les blocages dont elle soufre depuis quelques temps, non comme la manifestation irresponsable de conflits personnels, mais comme l’expression de fidélités diverses, et en principe convergentes, que la malice des temps modernes s’est plu à opposer.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 30 mars 2021)