«Bien connaître ses dossiers»… et ensuite?

«Il connaît ses dossiers!» Tel est, en Pays de Vaud, l’éloge politique suprême. On ne compte plus les départs, à la retraite ou à Berne, à l’occasion desquels un collègue en politique du futur retraité décoche ce compliment comme on tapote sur la tête d’un bon élève.

Ces quelques mots sont un condensé de mesquinerie parlementaire. Le relativisme inhérent au régime électoral, la valse des hésitations et la fluctuation des promesses interdiront toute considération de fond, y compris contre son plus farouche adversaire. D’abord pour ne pas s’aliéner une alliance possible, un soutien éventuel. Ensuite parce que ce compliment permet d’apparaître à bon compte comme cordial. Vanter les mérites personnels de son adversaire à la tribune est plus facile et profitable que de donner un coup de pouce à son colistier. Rien de plus normal, le colistier est plus dangereux.

Bien sûr, «on combat les idées, pas les personnes». Et nous devons finalement nous en réjouir. La Ligue vaudoise le répète assez souvent: le luxe des petites communautés est que leurs politiciens se connaissent, et que les fronts, bien qu’opposés, ne sont pas anonymes. Mais connaître son dossier n’est pas tout.

Quelle différence y a-t-il entre un politique et un fonctionnaire si le seul mérite du premier est de «bien connaître ses dossiers»? Cette personne-là est au pouvoir, mais ne l’exerce pas: elle se contente de gérer, d’accepter que l’administration prolonge son action, ou elle-même de prolonger celle de l’administration.

La politique ne se résume pourtant pas à des classeurs, des diagrammes et des rapports. La politique, ce sont aussi des idées. Il y a, bien sûr, une certaine fierté helvétique à ne pas faire de la «politique à la française». «Chez nous, on affronte les vrais problèmes avec pragmatisme», proclamera-t-on en faisant craquer un bricelet. De là à mépriser les «intellectuels», il n’y a qu’un pas.

Pourtant, les succès de la gauche lui viennent de sa maîtrise de la chaîne de production des idées, de l’Université à l’école, en passant par la culture. Elle est aujourd’hui le principal marteau qui forge nos mentalités. Et cela dépasse largement les enjeux électoraux du moment.

Nouvelle soupe dans une vieille casserole

Ainsi, l’Université n’arrêtera pas de développer et promouvoir une sociologie déconstructionniste. Elle continuera de faire bouillir dans la même vieille casserole marxiste la nouvelle soupe intersectionnelle des sexes, des genres, des espèces, des races et des nationalités. Cette production se diffusera ensuite dans les manuels scolaires, sur les scènes des théâtres subventionnés et dans les cortèges gymnasiens de la Grève du climat.

Cette idéologie, bien répandue dans l’intelligentsia vaudoise, a des sources, des relais et des débouchés, des auteurs et un corps de doctrine. Il est possible de la combattre. Mais pour cela, «bien connaître ses dossiers» ne suffit pas.

(Félicien Monnier, 24 heures, 29 mars 2022)