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Juste Olivier et l’identité vaudoise

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1846 26 septembre 2008
Le dernier numéro d’Allez savoir!, magazine trimestriel de l’Université de Lausanne, consacre son éditorial et quatre pages intérieures à Juste Olivier et à son monumental ouvrage Le Canton de Vaud. L’auteur de l’article, M. Pierre-Louis Chantre, a interrogé le professeur Maggetti, directeur du Centre de recherches sur les lettres romandes. Celui-ci déclare notamment:

Juste Olivier n’est pas un idéologue. Bien que son projet soit patriotique, l’écrivain ne propose pas une bible de l’identité vaudoise: Le Canton de Vaud ne met pas en avant une identité toute faite ou une essence vaudoise qui serait immuable. Juste Olivier n’assène aucune certitude et n’utilise ni emphase ni glorification dans ses descriptions. Il ne met pas en doute l’existence d’un peuple vaudois, mais selon lui, l’identité résulte de la superposition de couches successives qui se constituent avec le temps.

Plus loin, M. Maggetti affirme encore que l’identité est une «affaire de regard» et qu’«en cela, Juste Olivier a un caractère très moderne».

Le terme d’identité, utilisé à propos d’une réalité collective, n’est pas très précis, ni très profond. Il relève de la science sociale plutôt que de la politique. C’est une manière distante, froide, entomologique pour tout dire, de reconnaître qu’un certain nombre de personnes, localisées en un certain endroit, présentent certaines similitudes de comportement. Le terme de patrie, terre des pères, patria vuaudi, convient mieux au Pays de Vaud. Il affirme la cohérence des lignées familiales qui ont abouti, provisoirement, aux générations actuelles. Nous recourons toutefois généralement au terme de nation, qui évoque une communauté historique et territoriale constituée en Etat, objet propre de la politique. Patrie parle surtout au coeur, nation à la raison et à la volonté. Identité parle à la partie la plus sèche de notre intelligence. Ces notions ne s’excluent pas. On préfère l’une ou l’autre selon son tempérament.

L’inconscient collectif d’un peuple conserve toujours un souvenir de la manière dont il est devenu un Etat. Et ce souvenir définit durablement sa relation au pouvoir politique: deux cents ans de république, par exemple, n’ont pas atténué le monarchisme invétéré des Français. Aux yeux de l’individu, l’être de la communauté semble immuable. On comprend que certains soient tentés d’attribuer à leur patrie une certaine forme d’éternité. Mais on est ici dans l’ordre de la poésie, non de la métaphysique.

Ce qui est sûr, c’est que personne, même à la Ligue vaudoise, n’a jamais pensé qu’il existait une essence éternelle du Pays de Vaud. Je devrais dire surtout à la Ligue vaudoise. Nos fondateurs connaissaient trop l’histoire et la philosophie pour faire une telle confusion. Le professeur Maggetti gonfle ici lui-même une baudruche pour se donner le plaisir de la crever.

Nous sommes d’accord avec le professeur Maggetti quand il affirme que «l’identité résulte de la superposition de couches successives qui se constituent avec le temps». Les situations nouvelles, les progrès de la technique, l’évolution de l’économie, l’arrivée en masse d’étrangers superposent sans cesse de nouvelles couches aux précédentes. Mais il faudrait ajouter que les nouvelles couches sont filtrées, sélectionnées et orientées, puis assimilées par les anciennes, qui forment la culture du lieu. De la sorte, la superposition débouche perpétuellement sur une nouvelle synthèse nationale.

Que veut dire «l’identité est une affaire de regard»? Cela signifie-t-il qu’il n’existe pas de réalité collective sinon dans l’oeil de qui veut la voir? Le titre de la thèse de doctorat de M. Maggetti, L’invention de la littérature romande 1830-1910, suggère cette interprétation subjectiviste. Mais quand tous les regards, celui de 1’historien, celui du moraliste, celui du sociologue, celui du simple péquin, affirment semblablement qu’il existe une entité culturelle et politique vaudoise, n’est-on pas fondé à en déduire qu’il s’agit d’une réalité objective qui, sans être une essence, s’impose de l’extérieur à notre regard?

Peut-être la formule de M. Maggetti veut-elle simplement dire que l’identité est une affaire strictement culturelle, qui ne saurait fonder ou justifier une quelconque action politique. C’est le gros problème qui se pose toujours à l’intellectuel romand: comment reconnaître la réalité vaudoise subsistante – tant on ne peut nier les évidences – tout en refusant absolument de lui donner les moyens politiques de s’affirmer contre ce qui la menace ou la nie, qu’il s’agisse des effets dissolvants de la compétition électorale, de l’impérialisme fédéral ou de l’anarchie migratoire?

M. Maggetti souligne avec raison, dans le prolongement de la préface de Ramuz à la réédition de 1938, que le livre d’Olivier ne fut pas reçu par le grand public. Son explication est qu’il «ne correspondait par assez à l’idée qu’on se faisait de l’histoire à l’époque. Il était trop nuancé.» C’est possible, mais ce n’est pas l’essentiel. Nous croyons surtout qu’au moment de la publication, 1837 pour le premier volume et 1841 pour le second, l’idéologie helvétique faisait déjà rage, engendrant chez tous les Suisses, en particulier les gens des partis, une vision unitaire de la Confédération. Cette vision devait déboucher sur l’Etat fédératif de 1848, une institution déséquilibrée qui engendra un processus ininterrompu de centralisations imbéciles. Dans cette perspective, un rappel détaillé de l’histoire vaudoise ne pouvait que gâcher la vision unitaire à la mode.

D’ailleurs, la réédition des Cahiers de la Renaissance vaudoise, en 1978, a connu un certain succès, mais n’a pas non plus déclenché une avalanche de commandes, ni un intérêt particulier des spécialistes de la littérature romande. Pourquoi M. Maggetti ne dit-il pas un mot de cette réédition? Nous en avons encore quelques centaines d’exemplaires, sous forme de deux gros volumes toilés, qu’on peut commander au secrétariat de La Nation. A quoi sert-il de dire tout le bien du monde d’un ouvrage en oubliant de dire qu’il est à disposition et en laissant entendre qu’on ne le trouve plus que chez les bouquinistes? Comme on dit aujourd’hui, ce n’est pas très professionnel. On sait que M. Maggetti n’aime guère la Ligue vaudoise. Mais il s’agit de Juste Olivier, pas de nous…

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