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L’islam en Suisse et dans le Canton de Vaud - Séminaire 2009 de la Ligue vaudoise (II)

Benoît Meister
La Nation n° 1859 27 mars 2009
L’orthodoxie voilée de Tariq Ramadan

Le premier exposé de cette seconde séance consacrée à l’islam en Suisse et dans le Canton de vaud commence par un avertissement: «Méfiez-vous du titre!» De quelle orthodoxie parle-t-on ici? Sous quel voile se dissimule-telle? Avant de répondre, Jacques Perrin, rédacteur depuis des décennies à La Nation, examinera de près la pensée du plus médiatique des intellectuels musulmans de nationalité suisse, le très «sulfureux», selon certains journalistes en mal d’originalité, Tariq ramadan.

D’origine égyptienne, ramadan est né en 1962, a enseigné dans divers pays, dont la Suisse, à un niveau universitaire, travaillerait actuellement en Angleterre sur mandat du gouvernement à une meilleure intégration des musulmans, en plus d’enseigner l’islamologie à Oxford. Personnage controversé chez nous, notamment pour ses discours qualifiés de «séducteurs» et démagogiques, il est l’auteur de plusieurs livres imposants dans lesquels il expose sa conception de l’islam, de l’avenir de celui-ci, lié étroitement, selon lui, à l’avenir de l’Occident. A partir notamment d’une lecture des ouvrages intitulés Les Musulmans d’Occidents et l’Avenir de l’Islam, paru en 2003, et Islam, la réforme radicale, éthique et libération, paru l’an passé, le conférencier exposera dans un premier temps les fondements de la pensée de ramadan, la critiquera sur un certain nombre de points. Il abordera ensuite quelques problèmes particuliers, dont celui de la relation entre le temporel et le spirituel, entre la nationalité et la religion: selon Tariq ramadan, un musulman est-il d’abord musulman ou citoyen de la nation où il s’est établi? Enfin, comment ramadan aborde-t-il le problème de la construction des minarets dans un pays où la religion musulmane n’est pas dominante?

Ce qui frappe d’abord dans les ouvrages cités ci-dessus, selon Jacques Perrin, c’est «la modernité des expressions utilisées, très marquées par la langue de coton médiatique». Une langue «de coton», parce que faite d’un vocabulaire de notions vagues, molles, racoleuses: de «l’esprit d’ouverture» à «l’enrichissement mutuel», en passant par «les grands défis», ramadan semble maîtriser la vulgate contemporaine du journaliste moyen. Au delà de cet aspect, la pensée de l’intellectuel genevois n’est pas toujours sans ambiguïté, ce qui peut s’expliquer par une intention de se concilier différents partis: une langue floue, évasive, a l’avantage d’être englobante.

Tariq Ramadan apparaît dans ses livres comme un musulman croyant, raisonnable, en particulier sur les sujets qui fâchent tels que le port du voile, la lapidation ou la charia. Une idée centrale qu’il défend est celle d’un double changement radical, qui permettra l’avènement d’«un autre monde» idéal et pacifique: la société occidentale et l’islam doivent semblablement passer par une réforme profonde. Plus précisément, c’est un islam revu, transformé, qui rendra possible la transformation de l’Occident. En effet, le message islamique originel, débarrassé à la fois des lectures littéralistes du Coran et des pressions que l’occidentalisation du monde fait peser sur lui, peut libérer le monde, régénérer moralement l’Occident en particulier, miné par l’individualisme, le productivisme et le progrès inhumain.

Comment parvenir à cette transformation générale du monde, des hommes et de la religion? Ramadan s’adresse aux musulmans d’Occident, à qui revient la tâche d’amorcer la réforme. Ceux-ci doivent renoncer définitivement à leur culture d’origine, ne plus se considérer comme des Pakistanais, des Turcs ou des Marocains en exil; ils doivent «changer d’habit» en adoptant la nationalité du pays où ils vivent. Ce qu’il ne faudrait pas comprendre comme une assimilation: les musulmans doivent, selon les termes de Tariq Ramadan, «normaliser leur présence sans la banaliser». Le droit musulman et le droit occidental peuvent cohabiter, avant que l’éthique sous-jacente au droit musulman ne renouvelle l’éthique occidentale. L’Occident apparaît ainsi, dans l’esprit visionnaire de ramadan, comme une terre promise à la fois pour les musulmans et pour la société occidentale elle-même.

Dans la seconde partie de son exposé, Jacques Perrin a montré comment Tariq Ramadan répondait à quelques questions que nous estimons importantes au sujet de l’islam en Suisse et dans le Canton de Vaud. Est-on un musulman vivant en Occident ou un occidental musulman? Alors que nous pensons que l’appartenance nationale et l’identité religieuse peuvent entrer en conflit, Ramadan juge que c’est un faux problème, parce que la foi et la nationalité appartiennent à des sphères tellement différentes et éloignées qu’elles ne pourront jamais se heurter. L’identité musulmane est, selon ses termes, «essentielle, fondamentale, première et primordiale». Quant à la nationalité, il la décrit comme le rapport d’un homme à ses concitoyens par référence à une constitution abstraite et à un espace non moins abstrait, suivant en cela la conception moderne de la relation entre le citoyen et la nation. Autrement dit, la nationalité est accessoire. D’où s’ensuit que, pour Ramadan, la communauté nationale est bien inférieure en importance à la communauté de foi, et qu’on ne peut en aucune manière, aujourd’hui, se réclamer de la communauté nationale pour interdire l’expression de principes appartenant à telle ou telle communauté de foi. Les sociétés occidentales ne sont plus homogènes, il n’y a plus de nations à proprement parler. Ce qu’il reste, ce sont des communautés de foi égales vivant dans un même espace.

Des précédentes affirmations, on pourrait déduire sans peine que Tariq Ramadan ne voit pas d’obstacles à la construction de minarets sur notre sol. Conscient toutefois des réactions d’hostilité que provoquerait en Occident l’érection de ce symbole, associé à l’histoire conquérante de l’islam, Ramadan appelle de ses voeux «un supplément de créativité plutôt qu’un isolement et un enfermement dans des expressions et des esthétiques uniquement orientales». Imagine-t-il par là une architecture de mosquée sans minarets? Il envisage en tout cas un nouveau symbole, qui pourrait être celui de l’islam régénéré par la réforme dont il a été question, et qui cohabiterait pacifiquement avec les symboles des sociétés occidentales.

A quelle orthodoxie la pensée de Tariq Ramadan est-elle conforme? Il est possible maintenant de répondre. Une certaine pensée moderne affirme que les nations sont dépassées, et que la politique ne peut se faire désormais qu’à l’échelle internationale. S’il est vrai que cette idée, qui s’inscrit dans une vision progressiste de l’homme et des sociétés, est élevée au rang d’un dogme religieux, Tariq Ramadan est parfaitement orthodoxe. Il apparaît en effet comme un vrai internationaliste et un vrai altermondialiste, qui pense qu’un autre monde est possible, transnational, meilleur grâce à une éthique musulmane revue en profondeur, plus proche de la source coranique. Musulman croyant, il se définit néanmoins d’abord comme un Européen: «Je suis un Européen de confession musulmane», a-t-il déclaré. Enfin, il apparaît que son orthodoxie n’est pas voilée: l’islam de Ramadan ne masque pas sa pensée internationaliste, il est l’autre face d’une même médaille, il est le fondement de celle-ci. Pensée internationaliste, conclut Jacques Perrin, que nous continuerons de combattre, qu’elle soit islamique ou non.


Une religion conquérante?

«Comment parler de l’islam et des musulmans, c’est-à-dire d’un milliard, trois cent millions d’individus, et d’une histoire vieille de treize siècles sur trois continents?» Revenir à un texte fondateur, directement inspiré du Coran et de la Sunna, le jihad; exposer la conception religieuse qu’il contient, et la conception politique qui en découle; montrer en particulier les types de relations que la conception politique envisage entre les musulmans et les non-musulmans: voilà le parcours que Madame Bat Ye’or se propose de suivre pour le second exposé de la soirée. Bat Ye’or est historienne, auteur de nombreux ouvrages traduits en plusieurs langues, dont Les dhimmis: juifs et chrétiens sous l’islam, elle a travaillé en particulier sur un type de relation entre musulmans et infidèles, la dhimmitude, dont il sera question plus tard.

L’islam est-il une religion conquérante? L’étude de l’histoire, puis de la doctrine du jihad, nous fourniront la réponse. Des extraits de chroniques, que la conférencière prend le temps de nous lire, décrivent la conduite des premiers musulmans à l’égard des peuples qu’ils envahissent, juifs, chrétiens, mais aussi hindouistes et boudhistes: massacres, pillages, incendies, mises en esclavage qui ne sont certes pas, dans l’histoire, l’apanage des armées islamiques. Nous sommes en l’an 640; les Arabes, après avoir islamisé toute l’Arabie et avoir chassé du Hedjaz tous ses habitants juifs et chrétiens, se lancent à la conquête des provinces chrétiennes de la Méditérranée orientale, la Syrie, la Palestine, l’Egypte et l’Afrique du nord; il remonteront jusqu’en Espagne et ne s’arrêteront qu’à Poitiers en 732. Puis à partir des neuvième et dixième siècles, nous assistons à une deuxième vague d’islamisation: des milices d’esclaves turques, islamisées lors de la première vague d’invasions, établissent des émirats dans l’Anatolie byzantine par un processus qui débute – il n’est pas inutile de le souligner – par l’immigration de ces mêmes milices. L’empire byzantin sera ensuite détruit, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, l’Albanie, la Pologne et la Hongrie seront conquises. Voilà qui donne quelque idée de la taille de l’empire que les musulmans se sont constitués au cours de l’histoire, en Europe seulement.

Ne pourrions-nous pas nous arrêter là? L’histoire ne nous démontre-t-elle pas clairement que l’islam est une religion conquérante? Faut-il penser que la dimension conquérante de l’islam était accessoire et n’existe plus dans notre monde éclairé? On peut répondre immédiatement à cette dernière question: si l’on se base sur les affirmations du fondateur de mouvement des Frères musulmans, Hassan al Banna, ou sur l’étude (publiée en 1996) de l’actuel vice-président de ce même mouvement, on constate que le passé conquérant ne fait pas l’objet de repentances particulières à l’occidentale. Mais le mot de conquête n’est pas celui qui prévaut dans la perspective islamique. Comment les invasions passées apparaissent-elles alors aux yeux des juristes et théologiens musulmans?

Il faut remonter à l’idéologie qui a soutenu «l’immense épopée», selon les termes de Bat Ye’or, dont elle vient de donner un aperçu; il faut revenir au jihad. On désigne par ce terme à la fois la conception totalisante juridico-théologique et le livre qui l’exprime, livre qui est aussi un traité de guerre exhaustif, et qui légifère à ce titre sur tous les types de relations qui peuvent exister entre les musulmans et les non-musulmans. Il se base sur le Coran et les hadiths, qui sont les paroles et les actes attribués au prophète Mahomet, dont le recueil constitue la Sunna, les Traditions. Son universalité a été proclamée dès les débuts de l’islam, en tant que mission de Mahomet. Avant d’examiner ce que dit le jihad à propos des relations avec les non musulmans, la conférencière signale qu’un nombre considérable de livres traitant du jihad ont été publiés ces dernières décennnies. Elle ajoute cet avertissement: «Le public occidental est par conséquent bien outillé pour connaître et anticiper les conflits majeurs du XXIe siècle.»

Les infidèles entrent dans trois catégories. Il y a ceux qui s’opposent par les armes à la conversion à l’islam ou à la cession de leur territoire; ce sont les harbis; ils vivent dans le dar al-harb, région dans laquelle la guerre est obligatoire aussi longtemps que ses habitants refusent de reconnaître la souveraineté de l’islam. La deuxième catégorie est formée par ceux qui appartiennent au pays de la trêve, le dar al-suhl; le décret de ce régime particulier peut être motivé par deux raisons: soit les musulmans sont trop faibles pour remporter une victoire, soit les infidèles monnayent par le tribut la cessation des hostilités. Ces derniers sont également tenus de ne pas enrayer la progression de l’islam dans leur pays, ils doivent par exemple accepter la construction de mosquées chez eux. Enfin, il y a ceux qui se sont rendus aux armées musulmanes et ont obtenu la paix par la cession de leur territoire. Ceux-là sont les dhimmis, les protégés contre les opérations guerrières du jihad. Leur territoire est devenu dar al-islam. De plus, les dhimmis doivent verser une capitation, la jizya, pour garder leur religion, et accepter au quotidien le statut d’opprimés, avec le lot d’humiliations que celui-ci suppose. Cette troisième relation, dont notre conférencière a étudié la tragique histoire dans ses ouvrages, porte le nom de «dhimmitude».

Se basant notamment sur ces lois du jihad, les études occidentales concluent que l’islam est une religion conquérante. Conclusion inacceptable, blasphématoire même, disent les intellectuels musulmans. Car pour eux, la terre constitue un wakf, un bien appartenant à Allah et promis à la communauté musulmane afin qu’elle y fasse régner l’ordre islamique révélé à son Prophète. Ainsi la guerre sainte qu’ont menée les armées islamiques et qu’elles pourront mener à l’avenir est une guerre défensive, juste et légitime: une défense contre l’agression que représente l’existence même de l’infidélité. Il ne s’agit donc pas de conquêtes dans la perspective islamique, mais de réappropriation d’un bien antérieur détenu en toute illégalité par des non-musulmans. Réappropriation bénéfique pour les populations vaincues, puisque leurs défaites leur donnent la possibilité de se convertir.

L’islam est-il une religion conquérante? La réponse dépend donc du point de vue; les perspectives occidentale et islamique ne peuvent pas s’accorder à ce sujet. Bat Ye’or constate, et termine ici son exposé, que le point de vue islamique, qui considère la dhimmitude comme un régime d’une extrême tolérance, domine aujourd’hui les écoles et universités européennes, et se montre très intolérant à l’égard de ceux qui osent défendre la position opposée.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • L’histoire vécue – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • English service at Verbier – Olivier Klunge
  • La descendance de Darwin – Georges Perrin
  • Orthographe – On nous écrit, Albin Berruex
  • Tamedia avale Edipresse: un grand malheur? – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Haro sur le baudet! – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • OK sur glace – Le Coin du Ronchon