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Changer de paradigme

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1861 24 avril 2009
Les attaques renouvelées contre la Suisse, notamment de la part d’Etats réputés amis, mettent en question l’orientation de notre politique étrangère des vingt dernières années. En effet, les décisions des autorités fédérales depuis 1989 – engagement en faveur de l’EEE, participation aux envois de casques bleus, adhésion à l’ONU, vente de l’or de la BNS, application unilatérale du principe du Cassis de Dijon – ont toutes été pensées et prises dans la perspective d’un progrès constant des relations entre les Etats: une paix durable naîtrait inévitablement de l’unification du droit et des institutions, de l’abaissement puis de la suppression des frontières, de l’extension du marché libre, de la démocratisation universelle, du mélange des races et du multiculturalisme.

Corollairement, nos autorités se sont mises à considérer la politique suisse comme un simple appendice local de la politique mondiale. Leur souci principal a été dès lors d’aligner le peuple et les cantons suisses sur les décisions des organismes internationaux, l’Union européenne, l’OCDE, l’OMC, l’OTAN, l’ONU.

Dans cette perspective optimiste, nous avons réduit notre armée et modifié ses buts, augmentant continuellement la part non dévolue à la défense nationale: Armée 95, «moins de gras, plus de muscle» (on ne s’en lasse pas!), Armée XXI, antichambre de l’OTAN, sans parler de la mystérieuse Army after next, dont on ne sait trop de quels nouveaux abandons elle sera faite. Nous avons largué la neutralité pour que nos représentants puissent dire «notre mot», généralement inutile et parfois pathétique, comme à Genève lundi dernier. Oubliant le rôle majeur que nos agriculteurs jouent dans la défense du territoire, nous les avons livré à une concurrence illimitée tout en leur imposant des exigences écologiques et sociales qui rendent cette concurrence impossible.

C’est ainsi qu’en quinze ans, et sans que personne nous le demande, nous nous sommes spontanément débarrassés d’une bonne partie des moyens matériels, des garde-fous institutionnels et du ressort moral qui nous avaient permis de survivre au coeur de deux guerres mondiales.

Simultanément, les attaques contre la Suisse se sont durcies et multipliées. C’était fatal, car les relations entre les Etats sont un jeu de forces: tout pouvoir désire s’étendre, et cette extension se fait là où la résistance est moindre.

En politique internationale, il n’y a pas d’amis, juste des alliés. Et les alliances durent le temps qu’elles profitent aux parties. L’ordre international est une stabilisation momentanée de forces en tension qui se contiennent les unes les autres, comme au départ d’une mêlée de rugby.

L’aveuglement progressiste de nos autorités les a empêchées de prévoir même les plus prévisibles des attaques contre la Suisse. Plus, il les a empêchées de vouloir les prévoir: quand l’ambassadeur Jagmetti a déclaré que nous étions dans une situation de préguerre avec les Etats-Unis d’Amérique, on l’a jeté dehors pour incorrection idéologique.

C’est dans ce même état d’esprit naïf que nos autorités ont commandité la plus brutale et la plus injustifiée des attaques contre la Suisse, je veux dire le Rapport Bergier. Elles désiraient apparemment faire une fin, solder les comptes à n’importe quel prix, fût-ce en entachant la réputation de la génération de la guerre et en gauchissant la vérité historique.

Instruites par ces expériences douloureuses, les autorités fédérales se préoccupent-elles de savoir d’où viendra la prochaine attaque? On peut en douter. Pour l’heure, leur interprétation de la situation reste inébranlablement optimiste. Elles considèrent les agressions dont nous sommes les victimes comme de simples accidents de parcours. Alors, elles se contentent de pleurnicher, répétant à quel point nous sommes gentils et à quel point les autres sont méchants.

Or, M. Peer Steinbrück n’est pas méchant, même s’il incarne à la perfection le Teuton qu’on aime haïr. C’est un ennemi, certes, en tout cas pour le moment, mais il n’est pas méchant. Il n’est pas plus amoral que l’élu démocratique ordinaire. Ça n’a aucun sens de le haïr ou de l’insulter, pas plus que de s’indigner des jappements du président français ou d’être déçu du si gentil M. Obama.

Ces hommes d’Etat n’ont que deux soucis en tête. Le premier est d’être réélu. A cet effet, il est précieux de disposer d’un bouc émissaire qu’on puisse rendre partiellement responsable de l’état lamentable des finances publiques. Et c’est encore mieux si ce bouc est extérieur. Une Suisse prospère et honteuse de l’être est un bouc parfait.

Mais le souci essentiel de nos ennemis actuels est de défendre les intérêts de leur pays, en passant au besoin sur le corps de leurs anciens alliés. Et là encore, une Suisse démonstrativement faible est une proie toute désignée.

Les attaques continueront donc. Et les exigences de nos voisins ne cesseront d’augmenter: des exigences pécuniaires, bien sûr, dédommagements, «restitutions», contributions financières à toutes sortes de projets, mais d’autres exigences aussi, embrigadement de nos soldats dans les opérations d’imposition de la paix, par exemple, accords économiques léonins, droits de libre passage et de libre établissement sur sol suisse, que sais-je? Chaque Etat, chaque groupe international ou supranational va s’efforcer de nous tondre autant qu’il le pourra. C’est en tout cas la tendance.

Les événements actuels nous révèlent que les organismes internationaux et supranationaux sont instrumentalisés, soudoyés, gangrenés jusqu’à la moëlle par les grands Etats. Ils nous montrent aussi que la nature des Etats et les conditions de l’exercice du pouvoir ne changent pas. Il n’y a pas de progrès global.

La mondialisation ne supprime pas les nationalismes. Elle supprime les barrières qui protègent les petites entités politiques contre les nationalismes les plus puissants et les plus conquérants.

En politique internationale, on ne respecte pas les gentils, on les croque, avec une prédilection pour les gentils autocritiques, surtout quand ils sont dodus. Et quoi de plus dodu et autocritique que la Suisse d’aujourd’hui? Ceux qu’on respecte, ce sont les teigneux, ceux qui sont unis, ceux qui jouent leur jeu sans se demander d’abord ce que les grands vont penser d’eux… comme les Suisses d’il n’y a pas si longtemps.

La nature de la Confédération ne change pas non plus: la Suisse continue d’être une confédération d’Etats, un ensemble hétéroclite qui ne tient ensemble que grâce aux pressions venues de l’extérieur. Que ces pressions disparaissent, elle se décompose. Jusqu’à la chute du mur, la crainte du communisme avait joué le rôle de ciment confédéral. L’«équilibre de la terreur» avait cet avantage qu’il désignait clairement notre ennemi principal. Avec sa disparition en 1989, les choses sont devenues opaques et incertaines. Faute de pouvoir localiser l’ennemi avec précision, nous avons pensé qu’il avait disparu… et nous nous sommes effondrés.

Les attaques que nous subissons aujourd’hui rétablissent un peu de cette pression extérieure vitale pour la Confédération. Car il faut, sous peine de mort, changer de paradigme. Il faut inverser le flux: politique nationale d’abord, étrangère ensuite. La Confédération doit recommencer à jouer son propre jeu, penser prioritairement à ses propres intérêts. La protection et la mise en valeur de notre ordre politique fédéraliste, neutre et armé doit à nouveau constituer la référence première des décisions fédérales en matière de politique extérieure. Nous devons être convaincus que la contribution la meilleure que nous puissions apporter à l’ordre international est le maintien de l’ordre et de la paix sur le territoire qui est le nôtre. Les services supplémentaires que nous pouvons rendre, les bons offices par exemple, ne sont qu’un bonus, un peu d’huile dans les rouages de nos relations avec les autres Etats.

Les autorités fédérales ne sont pas là pour veiller à l’exécution d’une prétendue politique mondiale sur le plan suisse, mais pour défendre avec fermeté les réalités cantonales et fédérales telles qu’elles existent, et quoi qu’en pensent les autres Etats. C’est, mutatis mutandis, ce que font Mme et MM. Merkel, Steinbrück, Brown, Sarkozy, Obama et consorts. Et ils ont bien raison.

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  • A propos des médecines complémentaires – Jean-François Luthi
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  • Fête cantonale des chanteurs vaudois – Frédéric Monnier
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  • Et toc! – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Et l'amour des lois, alors? – Le Coin du Ronchon