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Cassis de Dijon, c'est parti!

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1866 3 juillet 2009
Il y a dans le droit européen un principe selon lequel tout Etat membre est tenu de considérer les normes techniques de n’importe lequel des vingt-sept Etats membres comme équivalentes aux siennes. C’est le principe du «Cassis de Dijon».

Les Chambres fédérales, à la suite du Conseil fédéral, ont décidé unilatéralement que la suisse allait elle aussi appliquer ce principe. «Unilatéralement», cela signifie que l’UE ne nous l’a pas demandé et, bien entendu, qu’elle ne nous accordera rien en contrepartie.

Cette décision répond à la volonté obsessionnelle du Conseil fédéral de faire baisser les prix en suisse, dont il répète inlassablement qu’elle constitue un «îlot de cherté». Pour introduire le Cassis de Dijon, le parlement a révisé la loi sur les entraves techniques au commerce (LETC). Ces «entraves techniques au commerce» sont les obstacles aux échanges internationaux de produits résultant de prescriptions ou de normes techniques différentes, de leur application divergente ou de la répétition des essais ou homologations déjà opérés à l’étranger.

Dans la dernière Nation, nous espérions un référendum. Il a été lancé par un vigneron de satigny, M. Willy Cretegny. Nous nous lançons à notre tour, sous le nom de Comité «NON au Cassis de Dijon». Pourquoi se battre?

En premier lieu, l’«îlot de cherté» est une sottise, fondée sur une approche biaisée de la réalité économique. Le Conseil fédéral fait comme s’il y avait d’un côté les producteurs avides et de l’autre les consommateurs exploités. or, tout citoyen est à la fois consommateur et producteur, payeur et payé. Tout se tient. Le salaire (élevé en suisse en comparaison internationale) jouant un rôle principal dans la formation des prix, une baisse générale des prix n’ira donc pas sans une baisse générale des salaires.

Pour éviter que les entreprises suisses ne soient discriminées par rapport à leurs concurrents étrangers, le Conseil fédéral a prévu qu’elles pourraient produire aux normes européennes, moins contraignantes. Les autorités fédérales se sont mises dans la situation de devoir bafouer les règles qu’elles avaient elles-mêmes promulguées!

En ce qui concerne les paysans, soumis à des exigences écologiques et sociales dures et vétilleusement contrôlées, le Cassis de Dijon les place en situation de faiblesse face à la concurrence européenne. Au terme d’une âpre lutte conduite pied à pied, leurs organisations professionnelles ont obtenu quelques aménagements. D’abord, les produits importés devront indiquer le pays d’où ils viennent. C’est bien, mais ce n’est pas transcendant. Ensuite, l’Office fédéral de la santé publique devra s’assurer que les denrées alimentaires d’importation ne constituent pas une menace pour la santé des consommateurs ou pour l’environnement. C’est bien aussi, mais c’est assez vague, et en tout cas, ça ne contraindra pas encore les importateurs étrangers à observer des règles aussi strictes que les nôtres. Nos producteurs continuent d’être discriminés.

Ayant obtenu ces maigres concessions, les organisations agricoles, comme elles s’y étaient engagées, ont décidé de ne pas lancer le référendum. Promesse tenue, donc, mais nous conservons l’espoir qu’elles – ou en tout cas leurs membres – le soutiendront!

Pour les verts, le Cassis de Dijon signifie l’assouplissement des normes fédérales sévères édictées sous leur influence en matière d’hygiène, de respect de l’environnement et de la protection des hommes, des animaux et des plantes. Leur opposition a été vigoureuse au parlement. Elle devrait normalement les conduire à soutenir eux aussi le référendum… ou à lancer le leur propre (1).

Sans partager l’admiration des verts pour toutes ces normes, dont certaines ont déclenché un véritable délire bureaucratique, nous jugeons choquant que la Suisse conserve des exigences légales tout en autorisant leur transgression. Soit ces normes sont justifiées et on les impose aux importateurs, soit elles sont mauvaises et on les change ou on les supprime. Il n’y a rien de plus délétère pour le droit et les institutions que des lois officiellement bafouées.

Il apparaît de plus particulièrement naïf de concéder à l’Union européenne un avantage important sans rien exiger en contrepartie. Ce genre de gaspillage diplomatique est d’autant plus imprudent, certains diraient «scandaleusement désinvolte», qu’on a vu, notamment en matière de secret bancaire, de quoi nos voisins étaient capables.

Lisons encore le Message du Conseil fédéral: Les obstacles techniques au commerce entravent les échanges transfrontaliers de produits et contribuent de ce fait au cloisonnement des marchés nationaux. Cette situation génère tout un éventail de problèmes, à commencer par des prix plus élevés, une concurrence moins vive sur le marché intérieur, une perte de compétitivité internationale pour les producteurs suisses et un potentiel inexploité d’économies d’échelle liées à la division internationale du travail (des débouchés plus vastes permettent une spécialisation accrue et la production en plus grandes séries, donc à un meilleur prix unitaire).

En invoquant la «division internationale du travail», le Conseil fédéral fait implicitement fi d’un principe fondamental, celui de la production généraliste, notamment en matière agricole. La production généraliste est sans doute, en tout cas à court et moyen terme, plus coûteuse que la monoculture, aboutissement logique de la division internationale du travail, mais elle seule peut conserver au pays une relative autonomie en cas de guerre.

Le Message ne dit pas non plus un seul mot de la solidarité des divers corps de métiers, des producteurs, des fournisseurs et des consommateurs à l’intérieur de nos frontières. Il ne parle que d’économie, et il en parle mal, parce qu’il la réduit à des généralités idéologiques entrelardées de comparaisons chiffrées ambiguës.

Nous arrivons au fond de la question. Le Cassis de Dijon, c’est le symbole du rabougrissement politique. Acceptant la modification de la LETC, le Parlement a entériné la subordination de la souveraineté suisse aux «lois» du marché. La politique étrangère de la Confédération semble n’avoir d’autre raison d’être que d’aplanir les chemins de la mondialisation.

Il est significatif que le libéralisme individualiste et le socialisme étatiste, deux idéologies généralement opposées, se retrouvent ici pour abattre les frontières protectrices et livrer les entreprises suisses, patrons et employés, aux seuls rapports de force internationaux.

Voilà pourquoi le lancement de ce référendum est une nécessité. Certains, tout en partageant notre jugement sur le Cassis, se réservent pour le vrai combat, celui qui les opposera à l’Accord de libre échange agricole (ALEA). Ils craignent qu’un échec contre le Cassis de Dijon n’affaiblisse la position des adversaires de l’ALEA (dont nous serons). Nous croyons au contraire qu’une abstention des organisations concernées ne peut que renforcer la détermination du Conseil fédéral. Il faut montrer dès aujourd’hui à l’officialité fédérale que nous ne sommes pas disposés à nous laisser faire, même en plein été. L’affaire est difficile, sans doute, se déroulant durant la canicule, mais elle n’en est pas moins parfaitement jouable.

Il y a encore beaucoup de questions à éclaircir et de points à traiter. Nous y reviendrons tout au long de l’été. Le délai échoit le 1er octobre prochain. Nos lecteurs trouveront dans cette Nation une feuille de signatures. Nous les prions de la signer et de nous la renvoyer le plus rapidement possible, même incomplètement remplie. D’autres feuilles, A5 ou A4, peuvent être commandées aux adresses postale (place du Grand-saint-Jean 1, 1003 Lausanne) et internet (courrier@ligue-vaudoise.ch) de la Ligue vaudoise, ainsi que par téléphone au 021 312 19 14.

NOTES:

1) Les résultats de plusieurs référendums lancés contre la même loi s’additionnent, si divers voire opposés que puissent être les motifs du lancement.

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  • Le Grand Conseil à la télé – Ernest Jomini
  • Des paysages divers – Olivier Klunge
  • Frises et tapisseries – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Les «Tripotes-cantons» – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Un «tripote-cantons» de plus – Revue de presse, Ernest Jomini
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