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Un Credo sans goût ni moût

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1869 14 août 2009
Le mensuel Bonne Nouvelle de juillet a consacré un dossier au Symbole des Apôtres. Qu’y apprend-on? Que Dieu est une «figure très mystérieuse, tout à fait séparée de l’univers» et que «rien ne lui ressemble dans la création». La Vierge n’est pas vraiment une vierge, mais simplement «la jeune fille qui n’a jamais enfanté». Vierge est une «traduction fautive». On apprend aussi que Dieu n’est pas «tout-puissant»: la «notion de toute-puissance de Dieu n’est pas biblique, mais une invention de l’Eglise». D’ailleurs, «Dieu ne crée pas l’univers à partir de rien, […], il met en ordre le tohu-bohu et lui donne un sens». Dans la foulée, le Christ n’a pas vraiment été conçu du Saint Esprit, lequel l’a uniquement fait «advenir», spirituellement, «à sa filiation divine». Et pour finir, «la résurrection n’est pas une donnée scientifique, mais une question de foi».

Qui pourrait se convertir à un Credo aussi anémique?

Les auteurs cités sont multiples, mais ils vont tous dans le même sens: émousser et diluer le Symbole des Apôtres, contester le sens plein des mots (créateur, vierge, résurrection) et, finalement, spiritualiser la foi au point de la désincarner.

A les lire, on a le sentiment que le texte des Ecritures ne doit en aucun cas être compris comme il nous est donné et comme on l’a toujours compris. Son vrai sens est caché au simple croyant et n’est accessible qu’au savant. Et pourtant, dit le Christ, «je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants» (1)!

Les textes sacrés ont sans doute plusieurs sens, mais pourquoi évacuer par principe le sens immédiat et littéral, ses précisions et ses imprécisions, ses formulations parfois incompréhensibles, choquantes ou terrifiantes (2)? Le chrétien doit le recevoir et l’assumer pleinement, non le dévier en corner par des «interprétations» symboliques confortables.

Ces théologiens ont-ils seulement une pensée pour le croyant ordinaire, qui passe son temps à entendre des autorités démolir ce que d’autres autorités lui ont enseigné?

La théologie moderne pèche par un recours trop exclusif et insuffisamment prudent aux méthodes scientifiques. C’est notamment le cas de la méthode historico-critique qui, sortant de son domaine propre, en arrive à imposer ses critères de crédibilité aux faits surnaturels eux-mêmes.

De plus, les sciences humaines sont très perméables à l’idéologie. Par la critique historique, c’est le rationalisme qui s’est glissé dans l’étude des textes, contraignant le chercheur à exclure de la réalité tout ce qui ne relève pas directement de la raison. L’historicisme, qui est une dérive parallèle, conteste la valeur permanente des textes sacrés et de leur interprétation traditionnelle, considérés comme des simples épisodes, aujourd’hui dépassés, de l’histoire des sociétés humaines. D’autres théologiens recourent à la réduction psychanalytique qui, à l’inverse, supprime purement et simplement la réalité historique et sa signification salutaire pour ne trouver dans les textes sacrés que des représentations imagées des structures de la psyché humaine. Certains utilisent la critique linguistique, notamment structuraliste, pour déconstruire le langage biblique. D’autres lisent l’Evangile du point de vue du matérialisme historique, qui fait du Christ une préfiguration individuelle de l’humanité accomplie. Mentionnons enfin la théologie féministe, ultime et significatif avatar de la critique moderne! La théologie «scientifique» apparaît dangereusement liée aux modes idéologiques! A quand une théologie anti-spéciste?

Ces razzias successives ne laissent pas subsister grand chose de ce qu’on apprend au catéchisme. Aussi, nos théologiens, tout en poursuivant leurs travaux de démolition, s’efforcent-ils de soustraire un petit peu de foi à cette science qui tout à la fois les séduit et les effraie. Ils se réfugient alors, comme on le voit dans le dossier de Bonne Nouvelle, dans la spiritualité, la morale et la psychologie. En gros: nous vous abandonnons le monde, laissez-nous le sens!

La science a une portée plus limitée que ces théologiens ne le croient, ne serait- ce que parce qu’elle ne s’occupe que du général et que les faits qui fondent la foi sont uniques. La science, notamment historique, peut cerner un fait unique. Mais ce fait comme tel lui échappe. Or, c’est sur des faits uniques, reçus comme autant de certitudes, que se penche la théologie. Unique est la création du monde par le Père, unique est le péché originel duquel découlent tous les autres, unique le sacrifice du Fils, unique sa résurrection, unique son retour à venir! Unique le Saint Esprit, unique encore l’Eglise déchirée par la malice des hommes! Unique enfin chaque être humain, appelé au salut et à la vie éternelle! Toutes ces réalités uniques énumérées par le Credo échappent par définition, par essence, à l’approche scientifique. Elles lui échappent d’autant plus qu’elles se situent toutes, par l’incarnation, à la rencontre du surnaturel et du naturel. Faute de le voir, nos théologiens s’imposent mille contorsions inutiles.

Tel, comme on l’a vu, s’échine à contester la création divine du monde à partir de rien et n’attribue à Dieu que la mise en ordre du chaos. Il ne voit pas qu’à ce niveau, ordonner et créer sont deuxmanières de dire à peu près lamême chose. Le terme hébreu de tohu-bohu, qu’on utilise pour désigner le chaos primitif, l’état des choses «avant» l’intervention de Dieu, signifie masse informe, confusion, vide, désert, désordre. Le tohu-bohu est un désordre sans la moindre trace d’ordre. Or, tout ce qui existe, le grain de poussière le plus banal, l’atome le plus simple, le moindre proton, constitue déjà un élément d’ordre. En d’autres termes, si le tohu-bohu d’origine était réellement total, rien n’existait, pas même l’espace, pas même le temps. Et c’est ce rien que Dieu a ordonné, autrement dit, c’est à partir de ce désordre absolu qu’il a créé l’univers. Quand la Bible dit que «la terre était informe et vide», c’est la même idée: dépourvue de forme, la matière n’existe pas.

Dieu donne certes un sens aux choses, comme on dit dans le dossier, mais il le leur donne en les créant, non en le leur ajoutant de l’extérieur.

Tel autre conteste la toute-puissance de Dieu, sous le motif que la Bible n’utilise pas ce terme. D’abord, le Credo ne prétend pas être un recueil de citations bibliques. Mais surtout, que «le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs» (3), comme dit Moïse, que celui à qui «tout est possible» (4), comme dit le Christ, soit tout-puissant, c’est assez évident, étant celui dont la parole crée «la vie, le mouvement et l’être».

Peut-être s’agit-il d’éviter l’apparente contradiction entre l’existence du mal et celle d’un Dieu à la fois bon et tout-puissant. Que Dieu supporte patiemment l’existence du mal est sans doute le plus insondable de tous les mystères. Mais nier sa toute-puissance pour le blanchir, c’est entrer dans un jeu dangereux. S’il n’est pas tout-puissant, que valent ses promesses? Et s’il ne tient pas ses promesses, que vaut notre foi? On croit modifier un seul élément, et c’est tout l’édifice qui vacille.

Un troisième embrouille le récit de la résurrection en disant que ce «n’est pas une donnée scientifique, mais une question de foi». L’opposition entre les deux notions n’est pas pertinente. Un fait peut être historique et ne pas relever de la science, comme nous l’avons dit plus haut. Jésus, sa naissance, sa vie, sa mort et sa résurrection, c’est l’histoire concrète de la venue de Dieu sur la terre. On ne va pas demander à la recherche scientifique ce qu’elle en pense, sauf pour l’entendre confesser qu’il ne lui appartient pas d’entrer sur ce terrain. La question est de savoir si la résurrection a réellement eu lieu, si c’est un conte édifiant pour nous faire comprendre autre chose ou si c’est une faribole. On touche ici à la pointe de la foi chrétienne: «Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et notre foi vaine» (5).

Or, s’il est vrai que la Bible ne décrit pas la résurrection comme telle, elle nous livre le témoignage de tous ceux qui ont vu le ressuscité. La foi porte précisément sur ce témoignage et la réalité de ce qu’il rapporte.

Pourquoi, encore, dire que rien ne ressemble à Dieu dans la création alors que «Dieu créa l’homme à son image»? Pourquoi affirmer que «Dieu ne se révèle pas dans les choses, mais dans l’histoire», alors que «ses perfections invisibles, sa puissance éternelle et sa divinité se voient comme à l’oeil nu, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages», comme dit saint Paul dans le premier chapitre de l’épître aux Romains? Pas peu à peu au cours de l’histoire, mais «depuis la création du monde».

Là encore, on abandonne la place, on neutralise l’univers pour se recroqueviller dans sa petite bulle intérieure de foi personnelle.

Ce recul tactique ne sert à rien: la foi désincarnée calfeutrée dans les limbes de la conscience ne résistera pas davantage à la gangrène scientiste que les affirmations sur la création ex nihilo, la vierge Marie ou la résurrection.

Les auteurs du dossier sont tous protestants sauf un. Mais le théologien catholique associé à l’opération, doctorant en théologie et professeur d’aérodynamique, ne sort pas du lot. Ses considérations «scientifiques» sur les gènes du Christ et sur la virginité de Marie sont à l’unisson de ce dossier, désinvoltes (à l’égard des personnes du Christ et de sa mère) et prétentieuses (à l’égard de l’interprétation traditionnelle des textes sacrés).

Bonne Nouvelle est organe officiel de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud. Dans ce dossier, il donne de celle-ci l’image d’une secte libérale. Ce n’est pourtant pas ce qu’elle est. La Rédaction aurait pu offrir la parole à un représentant de la tendance évangélique, dont on sait assez nous dire qu’elle est en progression constante (ceci expliquant sans doute cela), ainsi qu’à l’un ou l’autre tenant de la tendance traditionnelle qui est celle de bien des pasteurs vaudois et, implicitement, celle d’une bonne partie de leurs ouailles.

Cela aurait rendu compte du fait qu’il reste dans ce pays beaucoup de personnes qui acceptent le Credo au premier degré et dans sa totalité. Sans forcément tout en comprendre – qui le peut? – elles y voient ce que l’Eglise y a toujours vu, une synthèse d’une richesse inépuisable, le cadre de nos réflexions théologiques et morales, un pont entre les confessions chrétiennes, le résultat de l’application du meilleur de l’intelligence humaine aux mystères de la vérité révélée.

NOTES:

1) (Matt. 11:25)

2) La lecture littérale n’est pas, comme on croit trop souvent, une lecture sectaire qui consiste à piquer certains éléments de la Bible en les soustrayant à l’intelligence et en les instrumentalisant au gré des besoins de leur utilisateur. La lecture littérale est elle aussi une interprétation, qui repose sur le fait que les mots de la Bible, les versets et leur agencement ont d’abord un sens premier, qui doit être reçu pour lui-même.

3) Deutéronome 10:17

4) Marc 10:27

5) 1 Cor. 15:14

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