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Il ne faut pas faire comme si la Suisse était un Etat unitaire

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1871 11 septembre 2009
L’Hebdo du 27 août a publié une chronique de Jacques Pilet dont nous tirons ces deux citations significatives: «Nous avons sept ministres, mais pas de gouvernement […] au sens d’une volonté affirmée de mener le pays. Celui-ci est géré, il n’est pas dirigé.» Il dit aussi, à propos du président de la Confédération: «Sa fonction est symbolique. Mais à l’étranger, on le voit comme un vrai chef d’Etat». M. Pilet critique à raison ce statut contradictoire. Il plaide pour une modification des institutions, un assouplissement des règles et des usages. Il veut mettre au premier plan les compétences plutôt que la représentativité. Il n’est pas acceptable, juge-t-il par exemple, que le président de la Confédération soit aujourd’hui encore choisi à l’ancienneté.

M. Pilet ne demande pour la Suisse que ce que, mutatis mutandis, la Ligue vaudoise demande pour le Canton de Vaud, c’est-à-dire un gouvernement qui prenne ses responsabilités, désigné pour ses aptitudes à unir la population et conduire le pays plutôt que pour son ancienneté, ses appartenances partisanes ou sa capacité à satisfaire la soif d’honneurs et de prébendes de ses petits camarades. Pour autant, M. Pilet va-t-il dans le bon sens?

Nous croyons que c’est l’identité profonde et durable d’une communauté politique qui doit déterminer ses structures institutionnelles et sa politique étrangère. Avant d’entrer en discussion sur une rénovation des institutions, il faut commencer par observer et décrire la Suisse telle qu’elle se présente aujourd’hui.

Si, comme M. Pilet semble le penser, les cantons ne sont plus que des structures creuses sans réalité politique; si le fédéralisme a perdu son rôle de protecteur des libertés cantonales, communales et personnelles; s’il n’est plus qu’une organisation obsolète compliquant les processus législatifs et brouillant notre vision politique; si une approche centralisée éclaire au contraire les problèmes et permet de les résoudre mieux et plus facilement; si les préjugés séculaires qui opposent les Suisses francophones et les germanophones sont en voie de disparition; si, toutes traditions cantonales, toutes langues et tous accents confondus, le citoyen moyen se sent Suisse d’abord; en un mot, si la Suisse est devenue un Etat unitaire, alors M. Pilet a raison. Notre régime est inadéquat et notre gouvernement est infirme. Notre incapacité actuelle à répondre aux attaques répétées que nous subissons s’explique par le fait que nous essayons de conduire une politique d’Etat unitaire avec les institutions d’un Etat fédéraliste. Il importe donc que la Suisse retrouve une certaine cohérence entre son être et son action. Le tout est de savoir ce qu’il convient de rectifier.

En réalité, on constate que des différences profondes subsistent entre les cantons. Les préjugés persistent entre les groupes linguistiques. Ils s’accroissent même du fait d’une centralisation qui aggrave la subordination des cantons latins à la majorité alémanique. Pour l’essentiel, les cantons continuent de maîtriser les problèmes qui se posent à eux. Quant à l’unification fédérale, elle n’apporte pas la clarté et la simplicité annoncées par le législateur, mais au contraire l’incertitude et l’absence de maîtrise. On le voit avec l’organisation scolaire fédérale, qui est en train de couvrir la Suisse entière d’un réseau obscur de compétences mal définies. On constate encore que la dégradation, incontestable, des cantons ne débouche pas sur un renforcement de l’unité et de la force helvétique, mais s’accompagne au contraire d’une dégradation parallèle de la Confédération. En un mot, la Suisse continue d’être une confédération d’Etats plutôt qu’elle ne se transforme en un Etat unitaire et l’organisation suisse actuelle garde ses raisons d’être.

Dans cette perspective, il est juste que l’Etat fédéral soit limité dans ses possibilités de décision, puisqu’il n’existe en principe que pour s’occuper des intérêts communs – j’insiste: pas seulement semblables, mais réellement communs – des cantons, lesquels restent les détenteurs du pouvoir originel en Suisse. Cet intérêt commun continue d’être pour l’essentiel la protection des territoires et des souverainetés cantonales et c’est à cette protection que le Conseil fédéral doit vouer tous ses soins, laissant faire les cantons pour le surplus. Enfin, la Suisse doit continuer de s’imposer une neutralité rigoureuse, parce qu’il ne convient pas que le Conseil fédéral engage le destin politique de l’ensemble des cantons suisses dans une direction qui ne convient qu’à certains d’entre eux… parfois même à aucun, tant la Berne fédérale devient étrangère à la Confédération.

Il faut que notre pratique politique soit cohérente avec notre identité fédéraliste. M. Pilet – il n’est certes pas le seul – propose à l’inverse d’adapter notre identité à la pratique politique des Etats unitaires qui nous entourent. C’est un suicide politique, comme nous sommes en train de le constater.

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